«Dr
Yahya Ould Mohamed Abdallahi Ould Hacen» pour les connaisseurs de gens qui
doivent être connus, «Docteur Hacen» pour ceux de ma génération qui ont
grandi avec ce modèle d’engagement, de professionnel et de rectitude, «Petit
Hacen» pour les plus nostalgiques et les plus proches, «Yahya Hacen»
pour les compagnons qui sont restés à distance, ou tout simplement «Yahya
Ould Hacen» pour les officiels et pour ceux d’aujourd’hui… Tous ces noms
désignent l’un des premiers médecins du pays, de la génération des rebelles
invétérés, ceux qui ont mis leur savoir au service du plus faible, qui ont cru
pouvoir changer le monde dans lequel ils ont vécu, le forcer à plus d’égalité,
de justice, d’efficacité… La jeunesse qui fut celle de Yahya est
insoupçonnable aujourd’hui que nous sommes pris par cette léthargie que font
peser tous ces conservatismes sur nos consciences et nos imaginaires… A l’âge
adulte, cela s’est transformé par un engagement à toujours dénoncer
l’injustice, la corruption, l’incompétence. La retraite n’a fait que donner de
nouvelles dimensions à cet engagement. Avec, en plus, une plus grande amertume
de voir la société conserver ses cloisonnements malheureux, de voir les
politiques continuer à se compromettre, de voir l’administration gérer le pays
avec désinvolture et parfois irresponsabilité. Assez pour maintenir une
attitude «sceptique» (pour user d’un euphémisme qui convient à ce que
peut être l’attitude d’un homme de la stature de Yahya). J’ai fait ce
rappel, juste pour avoir la mesure de ce qui suit.
Ce
matin, Dr Yahya Hacen venait de terminer le gros du travail qui lui
était confié. Il avait quitté le ministère de la santé où il avait, avec
d’autres collègues dont des étrangers, une consultation sur le point d’être
achevée après quelques semaines de rude labeur et d’intense réflexion. Comme
d’habitude, il se proposait de déposer l’un de ses collègues à son lieu de
résidence. Il avait rangé son ordinateur machinalement sur les sièges arrière
du véhicule. Les routes de Nouakchott connaissaient à ce moment-là une
circulation particulièrement dense.
Plongé
dans les amabilités échangées avec son collègue qu’il déposa sans encombre là
où il allait, Yahya arriva devant chez lui. Il s’arrêta et tendit le
bras pour prendre son ordinateur… l’ordinateur avait disparu… Il revint dans
les bureaux du ministère de la santé, refit son chemin, demanda à son collègue,
à tous ceux qu’il a croisés en cette matinée… Rien ! l’ordinateur s’était
volatilisé.
Il
n’y avait pas que l’ordinateur dans le sac, mais aussi les disques durs, les
documents précieux, tout ce qui constitue «la fortune» de Yahya Ould
Hacen qui a toujours cru que la seule richesse qui vaille est celle qui
sert les hommes dans leur entreprise de modernisation, de développement,
d’émancipation, celle qui permet de préserver la dignité de l’homme : le
savoir, le courage d’assumer…
En
bon croyant, Yahya décida de s’en remettre à Allah – baqiya Allahu wa
Kavaa -, de se reposer un moment avant de dire aux commanditaires de la
consultation qu’il renonçait à la faire.
Au
moment où il plongeait dans une sorte d’engourdissement qu’on pouvait confondre
avec le sommeil, Yahya fut brusquement réveillé par le téléphone.
Quelqu’un lui demanda s’il était bien Yahya Ould Hacen, puis s’il avait
perdu quelque chose. Yahya s’empressa de lui faire l’inventaire de ce
qu’il avait perdu. «Vous pouvez passer nous voir au commissariat de police
de Tevraq Zeina II, l’ancien 4ème arrondissement, juste en face du
PNUD…» Là, l’attendaient les éléments de l’antenne de la police judiciaire.
L’ordinateur était déposé sur le bureau de leur chef qui s’empressa de
l’inviter à contrôler s’il manquait quelque chose.
Malgré
l’émotion du moment, Yahya demanda des explications : comment
avez-vous trouvé cet ordinateur, où et avec qui ? Les policiers
expliquèrent que les éléments circulant en civil avaient suivi des délinquants
connus qu’ils soupçonnaient d’être sur le point d’agir. Ces délinquants ont
profité de l’embouteillage et d’un moment d’inattention des occupants du
véhicule pour ouvrir la portière-arrière et prendre le sac. C’est au moment où
ils pensaient avoir réussi le coup un peu plus loin, que les éléments de la
police les ont arrêtés. Un dernier vœu de Yahya fut exaucé par les
policiers : voir les malfrats. Deux jeunes qu’il lui était difficile de
trainer en prison. Il mit du temps avant d’accepter de déposer plainte :
seule la plainte pouvait permettre aux policiers de les mettre hors d’état de
nuire.
En
rendant le précieux butin à son propriétaire, les policiers de Tevraq Zeina
venaient de provoquer un sentiment d’amour profond pour ce pays qui a toujours
été l’objet de suspicions de la part d’un militant invétéré et exigent. Un
moment d’extase qui accompagne ces moments où l’on est sublimé par un sentiment
profond d’appartenir finalement à cette Mauritanie qui se cherche et qui a des
difficultés à se retrouver. Un sentiment qui permet au moins de tempérer ses
critiques, de relativiser ses appréciations vis-à-vis de l’appareil qu’on
voudrait plus perfomrant.
Yahya Hacen
vient, à l’image du voyageur perdu dans un désert rocailleux et hostile, de
tomber sur une oasis extraordinaire et qui vaut ce que peut valoir un paradis
sur terre. La vie est ainsi faite : un petit quelque chose peut vous
réconcilier avec ce pays pour lequel vous avez tout donné. C’est ce que j’ai
perçu chez Docteur Hacen quand je l’ai rencontré alors qu’il venait de
vivre cette aventure.
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