C’est l’histoire d’un
ancien planton qui a travaillé dans l’administration coloniale, puis celle de
l’indépendance. Le Gouverneur français avec lequel il avait travaillé pour la
première lui avait appris à lire deux mentions : «confidentiel» et
«urgent». Lui intimant l’ordre de le déranger à tout moment et en tout
lieu chaque fois qu’il voit l’une de ces mentions sur un courrier qu’il reçoit.
Il avait donc appris à courir avertir le Gouverneur chaque fois qu’il
identifiait l’une de ces deux mentions sur un courrier. Qu’il soit dans sa
chambre à coucher, en réunion, dans les toilettes, en sieste… C’est devenu
machinal.
Quand les Français
sont partis, il reçut son premier patron mauritanien. La première semaine de
prise de service, le nouveau Gouverneur compris combien ce planton était
exceptionnellement au service, combien il semblait maitriser les secrets du
métier, combien il était dévoué. Il commençait à l’apprécier véritablement.
Un jour, il vint le
voir alors qu’il venait de sombrer dans un profond sommeil. Il le réveilla en
lui disant : «il y a là une lettre confidentielle». Sans dire mot,
le Gouverneur prit le document et le rangea sans le regarder. Un autre jour, il
vint le chercher chez une famille où il était venu se payer un moment de fuite
et de repos pour lui dire qu’il y avait là un «courrier confidentiel».
Cette fois-ci, le Gouverneur se contenta de lui remettre le courrier tout en
lui demandant de le déposer sur le bureau, toujours sans l’avoir lu. Un
troisième jour, le planton arriva en courant pour taper à la porte des
toilettes. Essoufflé, il expliqua qu’il y avait là «un courrier urgent».
Excédé, le Gouverneur le tint par la main avant de le faire asseoir sur une banquette
du salon. «Ecoute mon frère, dans ce pays, nous vivrons encore quelques
siècles, deux peut-être trois, avant de trouver un sujet confidentiel ou
d’avoir conscience d’une situation d’urgence. Alors reposez-vous et
contentez-vous de déposer le courrier sur le bureau sans me le dire…»
Le planton comprit alors que les choses ont changé…
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