Tringuembou,
un nom qui évoque la romance amoureuse dans le milieu Bidhâne. Depuis que le
poète l’a immortalisé au bout d’un voyage qui va de Ramme en passant par Beneyre,
Guembou, Boudembou… avec tout au bout «là-bas, c’est Trenguembou, qu’Allah
absolve le péché de Son humble serviteur» parce que «le campement où
vivent Ehl Swaad s’abreuve à partir de l’est de Trenguembou» (livriig illi
viih Ehl Swaad/yishrub min tell Tringuembou/dhaak Tringuembou rabbi zaad/‘abdak
tayiblak min dhanbou).
Tringuembou
relève depuis les indépendances de l’autorité malienne. Mais elle est restée ce
qu’elle a toujours été : une cité de convergence, un passage obligé pour
les échanges dans l’espace sahélo-saharien. Elle est restée un souk (çoug) qui
s’anime une fois par semaine en recevant commerçants et trafiquants du Mali, de
la Mauritanie, mais aussi du Sénégal, du Niger, de l’Algérie, du Burkina…
Nous
sommes en juin 1990… Le Nord du Mali est en proie à une nouvelle rébellion.
Malgré quelques incursions, le Nord est resté loin de cette partie du Mali qui
borde la frontière avec la Mauritanie et où les populations ont toujours vécu
en parfaite symbiose. Aucune crainte même si des renseignements annoncent
l’imminence d’une attaque spectaculaire en jour de marché. Les autorités
maliennes n’ont pris aucune mesure particulière. De leur côté, marchands et
trafiquants n’ont pas mesuré la portée de la menace.
Le
narrateur est parti très tôt le matin de Kobenni où il fait office d’auxiliaire
au Cadi local. Il avait pour mission de se rendre à Leboyziya, localité
frontalière, pour délivrer une convocation à un justiciable. Mais ici il avait
été surpris par la ferveur des villageois. Il apprend alors que c’est jour de
marché à Tringuembou. Il apprend aussi la présence de son vieil ami sur les
lieux. Un ami qu’il n’avait plus vu depuis longtemps. D’une pierre deux
coups : revoir un vieil ami et découvrir à quoi ressemblait un jour de
marché à Tringuembou. Il accompagna un groupe après avoir rempli sa mission.
Il
n’eut aucun mal à trouver son ami au milieu du tumulte. L’ami l’amena sous un mbaar
qui servait d’aire de repos aux voyageurs et commerçants du coin. Il partit
pour lui apporter du méchoui. C’est en cherchant le méchoui que l’ami fut
surpris par une voiture qui s’arrêta à son niveau et dont quatre hommes armés
descendirent. L’un d’eux, parlant un hassaniya sans accent, lui prit la main
avec force.
«Est-ce
que ces land-cruzer vous appartiennent ? si elles appartiennent à des
Mauritaniens, dis-leur de les dégager immédiatement et de rentrer chez eux.
Nous vous avons dit plusieurs fois de ne plus commercer avec ces gens». La
pression exercée sur son poignet lui fit comprendre qu’il devait faire vite. Il
courut parmi les Mauritaniens pour leur dire de fuir, que les rebelles avaient
attaqué, que les commerçants de teint clair risquaient de subir l’ire
vengeresse des autorités et des populations après le retrait des assaillants.
Il
s’agissait d’une attaque bien coordonnée. Quatre voitures dont une prit le
contrôle de la Brigade de gendarmerie, une deuxième celui de l’administration
et deux le marché. Gendarmes et administrateurs avaient réussi à fuir sans
tirer une balle. La seule tentative de résistance est venue d’un chasseur civil
qui a tenté de prendre à revers l’une des voitures, mais il a vite été repéré
et neutralisé. Ce sera la seule victime malgré les salves tirés au hasard et
dans tous les sens par les assaillants.
L’abri
servant d’aire de repos est aussi l’objet de plusieurs tirs. A l’intérieur,
notre émissaire découvrait à côté de lui un Mauritanien sur la route de retour
de Côte d’Ivoire où il venait de passer cinq années consécutives. Il avait
rassemblé tous ses biens et les couvrait de son corps tout en pleurant. Il
reconnut son voisin immédiat et commença à le supplier : «toi qui est
des Awlad Mbarek, par Dieu, ne me laisse pas mourir ici, je dois revoir ma
famille que je n’ai pas vu depuis des années…» Sa voix était couverte par
les rafales, mais notre homme a le temps de lui répondre : «Ecoute,
mieux vaut pour toi t’en remettre à Allah. Le Destin nous commande. Moi que tu
vois, je suis allé ce matin de Kobenni pour remettre une convocation à
quelqu’un de Leboyziya et je suis là comme toi, à la merci d’une balle perdue…
si ce n’est pas le destin funeste, qu’est-ce que c’est ? allez prie si tu
sais quoi dire…»
Apprenant
le mouvement de quelques unités maliennes à partir de Nioro, les assaillants se
retirent, laissant derrière eux le chao. La réaction des populations est
immédiate. C’est naturellement contre les commerçants et voyageurs au teint
clair que la vindicte est dirigée. C’est le branle-bas. Ceux des Mauritaniens
présents fuient comme ils peuvent. Certains ont la chance d’embarquer dans les
4x4 présents, nombreux ceux qui marchent. Quatre d’entre eux avaient des
chevaux qu’ils s’empressent d’enfourcher. Les soldats arrivés prennent tout le
monde en chasse. Ils arrêtent une cinquantaine de marcheurs vers la frontière,
et rattrapent les cavaliers qu’ils massacrent avant de les enterrer dans une
fosse commune. Le Mali déclare avoir tué quatre des assaillants et arrêté une
cinquantaine. C’est une victoire de l’Armée malienne qui est ainsi servie à
l’opinion publique malienne. A Tringuembou, le pillage va durer quelques jours
et finit par s’étendre à tous les biens détenus par les Mauritaniens. Avec même
des incursions au-delà des frontières entre les deux pays.
Il
va falloir attendre l’action spectaculaire dirigée par le commandant de la compagnie
de gendarmerie du Hodh, un certain Sow Daouda, pour que les Mauritaniens
arrêtent une trentaine d’agresseurs maliens en pleine action dans le territoire
mauritanien. Ce sont ceux-là qui seront échangés avec la cinquantaine de
prisonniers mauritaniens. Cette zone mettra du temps à se relever de ce coup.
Les populations ont retrouvé rapidement cependant le
chemin de la concorde et des retrouvailles. Cet épisode est aujourd’hui oublié.
L’instabilité de ces dernières années n’a pas affecté cette partie du
territoire. On a l’impression que peuples et autorités ont définitivement
compris les risques pour tout le monde de compromettre la paix et la sécurité dans
une zone frontalière où les relations historiques sont plus fortes que tout.
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