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dimanche 24 août 2014

La bataille de Tringuembou

Tringuembou, un nom qui évoque la romance amoureuse dans le milieu Bidhâne. Depuis que le poète l’a immortalisé au bout d’un voyage qui va de Ramme en passant par Beneyre, Guembou, Boudembou… avec tout au bout «là-bas, c’est Trenguembou, qu’Allah absolve le péché de Son humble serviteur» parce que «le campement où vivent Ehl Swaad s’abreuve à partir de l’est de Trenguembou» (livriig illi viih Ehl Swaad/yishrub min tell Tringuembou/dhaak Tringuembou rabbi zaad/‘abdak tayiblak min dhanbou).
Tringuembou relève depuis les indépendances de l’autorité malienne. Mais elle est restée ce qu’elle a toujours été : une cité de convergence, un passage obligé pour les échanges dans l’espace sahélo-saharien. Elle est restée un souk (çoug) qui s’anime une fois par semaine en recevant commerçants et trafiquants du Mali, de la Mauritanie, mais aussi du Sénégal, du Niger, de l’Algérie, du Burkina…
Nous sommes en juin 1990… Le Nord du Mali est en proie à une nouvelle rébellion. Malgré quelques incursions, le Nord est resté loin de cette partie du Mali qui borde la frontière avec la Mauritanie et où les populations ont toujours vécu en parfaite symbiose. Aucune crainte même si des renseignements annoncent l’imminence d’une attaque spectaculaire en jour de marché. Les autorités maliennes n’ont pris aucune mesure particulière. De leur côté, marchands et trafiquants n’ont pas mesuré la portée de la menace.
Le narrateur est parti très tôt le matin de Kobenni où il fait office d’auxiliaire au Cadi local. Il avait pour mission de se rendre à Leboyziya, localité frontalière, pour délivrer une convocation à un justiciable. Mais ici il avait été surpris par la ferveur des villageois. Il apprend alors que c’est jour de marché à Tringuembou. Il apprend aussi la présence de son vieil ami sur les lieux. Un ami qu’il n’avait plus vu depuis longtemps. D’une pierre deux coups : revoir un vieil ami et découvrir à quoi ressemblait un jour de marché à Tringuembou. Il accompagna un groupe après avoir rempli sa mission.
Il n’eut aucun mal à trouver son ami au milieu du tumulte. L’ami l’amena sous un mbaar qui servait d’aire de repos aux voyageurs et commerçants du coin. Il partit pour lui apporter du méchoui. C’est en cherchant le méchoui que l’ami fut surpris par une voiture qui s’arrêta à son niveau et dont quatre hommes armés descendirent. L’un d’eux, parlant un hassaniya sans accent, lui prit la main avec force.
«Est-ce que ces land-cruzer vous appartiennent ? si elles appartiennent à des Mauritaniens, dis-leur de les dégager immédiatement et de rentrer chez eux. Nous vous avons dit plusieurs fois de ne plus commercer avec ces gens». La pression exercée sur son poignet lui fit comprendre qu’il devait faire vite. Il courut parmi les Mauritaniens pour leur dire de fuir, que les rebelles avaient attaqué, que les commerçants de teint clair risquaient de subir l’ire vengeresse des autorités et des populations après le retrait des assaillants.
Il s’agissait d’une attaque bien coordonnée. Quatre voitures dont une prit le contrôle de la Brigade de gendarmerie, une deuxième celui de l’administration et deux le marché. Gendarmes et administrateurs avaient réussi à fuir sans tirer une balle. La seule tentative de résistance est venue d’un chasseur civil qui a tenté de prendre à revers l’une des voitures, mais il a vite été repéré et neutralisé. Ce sera la seule victime malgré les salves tirés au hasard et dans tous les sens par les assaillants.
L’abri servant d’aire de repos est aussi l’objet de plusieurs tirs. A l’intérieur, notre émissaire découvrait à côté de lui un Mauritanien sur la route de retour de Côte d’Ivoire où il venait de passer cinq années consécutives. Il avait rassemblé tous ses biens et les couvrait de son corps tout en pleurant. Il reconnut son voisin immédiat et commença à le supplier : «toi qui est des Awlad Mbarek, par Dieu, ne me laisse pas mourir ici, je dois revoir ma famille que je n’ai pas vu depuis des années…» Sa voix était couverte par les rafales, mais notre homme a le temps de lui répondre : «Ecoute, mieux vaut pour toi t’en remettre à Allah. Le Destin nous commande. Moi que tu vois, je suis allé ce matin de Kobenni pour remettre une convocation à quelqu’un de Leboyziya et je suis là comme toi, à la merci d’une balle perdue… si ce n’est pas le destin funeste, qu’est-ce que c’est ? allez prie si tu sais quoi dire…»  
Apprenant le mouvement de quelques unités maliennes à partir de Nioro, les assaillants se retirent, laissant derrière eux le chao. La réaction des populations est immédiate. C’est naturellement contre les commerçants et voyageurs au teint clair que la vindicte est dirigée. C’est le branle-bas. Ceux des Mauritaniens présents fuient comme ils peuvent. Certains ont la chance d’embarquer dans les 4x4 présents, nombreux ceux qui marchent. Quatre d’entre eux avaient des chevaux qu’ils s’empressent d’enfourcher. Les soldats arrivés prennent tout le monde en chasse. Ils arrêtent une cinquantaine de marcheurs vers la frontière, et rattrapent les cavaliers qu’ils massacrent avant de les enterrer dans une fosse commune. Le Mali déclare avoir tué quatre des assaillants et arrêté une cinquantaine. C’est une victoire de l’Armée malienne qui est ainsi servie à l’opinion publique malienne. A Tringuembou, le pillage va durer quelques jours et finit par s’étendre à tous les biens détenus par les Mauritaniens. Avec même des incursions au-delà des frontières entre les deux pays.
Il va falloir attendre l’action spectaculaire dirigée par le commandant de la compagnie de gendarmerie du Hodh, un certain Sow Daouda, pour que les Mauritaniens arrêtent une trentaine d’agresseurs maliens en pleine action dans le territoire mauritanien. Ce sont ceux-là qui seront échangés avec la cinquantaine de prisonniers mauritaniens. Cette zone mettra du temps à se relever de ce coup.
Les populations ont retrouvé rapidement cependant le chemin de la concorde et des retrouvailles. Cet épisode est aujourd’hui oublié. L’instabilité de ces dernières années n’a pas affecté cette partie du territoire. On a l’impression que peuples et autorités ont définitivement compris les risques pour tout le monde de compromettre la paix et la sécurité dans une zone frontalière où les relations historiques sont plus fortes que tout.

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