«Enlisement :
le fait de s’enliser», de «s’enfoncer progressivement dans le sol».
Ce mot tant redouté par les militaires quand ils sont en campagne est ainsi
défini dans le dictionnaire.
Le
11 janvier 2013, la France «répondait» à l’appel au secours des autorités
de la transition malienne : les Jihadistes qui avaient du Nord malien un
sanctuaire avaient décidé de marcher sur Bamako et ce n’est pas l’Armée
malienne qui pouvait arrêter leur marche. Rapidement – très rapidement – le
Président français François Hollande accepta d’envoyer son armée aux devants
des agresseurs. C’est l’opération Serval qui tire son nom de ce félin d’Afrique
vivant dans les savanes humides.
Quelques
semaines plus tard, la débâcle des Jihadistes permet aux Français, accompagnés
de quelques troupes maliennes de donner à l’opération un air de «libération».
Si la France a été incapable de mobiliser avec elle l’Europe et l’Amérique,
quelques pays de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
acceptèrent d’envoyer des troupes. Seuls cependant les Tchadiens et dans une
moindre mesure les Nigériens participèrent réellement aux combats. Les premiers
ont payé un prix exagéré dans l’effort de guerre.
Un
rapport d’une commission parlementaire française mettait récemment l’accent sur
«une intervention justifiée confirmant la capacité des forces françaises et
révélant les faiblesses de l’Europe de la défense» (reproche fait aux
Européens qui n’ont pas suivi automatiquement la France dans ses velléités
belliqueuses). Le même rapport explique que «les intérêts européens et
français en jeu se sont combinés avec l’appel au secours d’un pays central en
Afrique de l’Ouest pour justifier pleinement l’intervention française».
Soit.
Les
responsables politiques et militaires français avaient promis qu’il s’agirait
là d’une action «limitée dans le temps» (et dans l’espace parce qu’elle
s’arrêtera aux confins du pays Ifoghas dont la capitale, Kidal restera aux
mains des rebelles alors qu’on avait promis de permettre au Mali de recouvrer
sa souveraineté totale). Pour ces responsables, il fallait faire un montage qui
permette de passer d’une force africaine pour sécuriser le Mali (MISMA) à une
force onusienne de maintien de la paix au Mali (MINUSMA). Ce qui aurait permis
à la France de retirer ses troupes au plus vite.
Mais
il fallut attendre la tenue d’élections présidentielles «libres» au
Mali. Même si une partie de ces troupes a été rapatriée sous prétexte que la
situation était désormais sous contrôle d’une armée malienne «réorganisée et
bien formée pour faire face aux menaces».
Forces
africaines et françaises continuaient à subir les attaques des groupes armés
disséminés dans le désert saharien. Une guerre se déroulait loin des yeux du
monde. Elle faisait de nombreuses victimes dont des civils, ce qui augmentait
justement les possibilités de recrutement au profit des groupes armés. Nombre
de jeunes Peulhs, Songhaïs, Touaregs et Arabes sont allés combattre dans les
rangs des groupes armés suite à des bavures dont furent victimes les leurs sur
leurs territoires respectifs. On n’en parle pas, parce que les médias sont
tenus à l’écart de cette zone. Et les rares journalistes qui s’y aventurent
doivent désormais avoir dans l’esprit le destin tragique de l’équipe de RFI
près de Kidal.
L’activité
des groupes armés est assez forte pour faire deux conclusions. La première
oblige la France à revoir ses plans et à décider autre chose que le retrait «après
la libération du Nord malien». Les troupes africaines, malgré la bravoure
et la combativité des troupes tchadiennes, ne peuvent contenir, même
partiellement, la menace. Elles sont de plus en plus perçues comme des forces
d’occupation et leur présence est plutôt encombrante pour les populations qui
n’y trouvent aucun intérêt.
De
l’autre côté, l’Armée malienne est encore incapable de se reprendre et
d’imposer son autorité sur son territoire et à ses populations. On a vu lors
des derniers événements de Kidal, le comportement des troupes d’élite pourtant
bien formées et bien équipées par les Européens.
Alors ?
La France de Hollande est donc obligée de revoir sa stratégie. Sans donner
cependant l’impression que l’opération Serval s’enlise. Pour ça, il faut
changer son nom. Elle devient l’opération «Barkhane»… les barkhanes, ces
dunes sous forme de croissant, qui se déplacent très rapidement au gré du vent
dominant (en général celui qui vient du nord-est)… les géographes aiment
comparer un champ de barkhane à un vol de canards. On revient fatalement aux
noms d’animaux (ou d’oiseaux) que portent les expéditions militaires françaises
en Afrique (épervier, sangaris, serval…).
La
nouvelle orientation consiste à déployer quelques trois mille hommes dédiés à
assurer la paix dans la région sahélo-saharienne et dont le commandement sera
installé au Tchad avec deux postes avancés, un au Niger et un dans le Nord
malien.
«Maintenant,
explique le ministre français de la défense, il y a le souci pour nous
et pour les pays de la zone de veiller à ce qu’il n’y ait pas de recrudescence
des activités terroristes», parce qu’«il y a toujours des risques
majeurs de développement de Jihadistes dans la zone qui va de la Corne de
l’Afrique à la Guinée Bissau». Grande ambition que celle de sécuriser tout
ce territoire !
La
stratégie qui sera suivie est celle qui va allier renseignements et frappes.
Grâce au déploiement des drones et bien sûr d’autres moyens de surveillances
sophistiqués, la force pourra identifier tout mouvement suspect dans l’espace
sahélo-saharien et «le traiter» dans l’immédiat.
On
a vu ce que cette stratégie a donné en Afghanistan où les moyens déployés par
l’OTAN, principalement par les Etats-Unis sont autrement plus modernes et
doivent être plus précis que ceux que la France peut disponibiliser à elle
seule. Chaque jour sa bavure, un jour un cortège nuptial est détruit par les
avions de combat, un autre c’est une réunion de famille… Dans l’espace nomade
du Sahel et du Sahara, cela risque de faire des ravages…
A
peine lancée, l’opération est déjà critiquée par les experts militaires
français qui trouvent que l’effectif est insuffisant. Il n’est pas exclu donc
de le voir augmenter au fil des mois à venir pour permettre une couverture
efficace des territoires allant du Tchad à la Mauritanie en passant par le
Niger, le Burkina Faso et le Mali. En somme les pays du fameux G5 du Sahel.
Comme quoi…
En conclusion, nous sommes partis d’une opération
circonscrite dans le temps et dans l’espace (les troupes devaient se retirer
moins d’un an après le début des opérations en janvier 2013, après avoir libéré
et remis le Nord du Mali aux autorités de Bamako), on arrive à une opération
qui vise l’installation dans la durée (on parle de dizaines d’années) et qui
doit désormais couvrir les cinq pays de l’espace sahélo-saharien (Tchad,
Burkina, Niger, Mali et Mauritanie). Alors ?
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