Avec notre confrère Cheikh Sidi Abdalla de TVM, on est sûr chaque
fois d’apprendre, de se distraire et de réfléchir. Son émission culturelle de
samedi soir (sur la chaîne publique) est un rendez-vous hebdomadaire très
prisée par les téléspectateurs. Critique littéraire, il a peu à peu ouvert
cette émission pour en faire aussi une sorte de témoignage sur l’Histoire
récente du pays. Il s’agit pour lui de donner la parole à des acteurs, des
témoins ou des connaisseurs et de les interroger sur ce qu’ils savent. L’émission
de cette semaine recevait Baba Ould Sidi Abdalla – aucun rapport parental avec
le présentateur -, l’ancien Haut Commissaire de l’OMVS, ancien directeur
général de la SNIM, le premier ingénieur Mines du pays.
C’est surtout l’épisode de l’arrestation du Haut Commissaire en
fonction le 29 janvier 1998 alors qu’il revenait d’une Oumra, c’est surtout cet
épisode qui semblait le plus intéresser au cours de l’entretien même si les deux
interlocuteurs ont finalement fait le tour de la vie active du témoin. Tout a
été dit ou presque : à mon avis, le passage sur le président de la Cour
criminelle de l’époque n’a pas fait l’objet de l’attention qu’il méritait.
Le procès se passait en août 1998. Tout le monde savait l’importance
pour le pouvoir de l’époque de faire condamner l’accusé. L’affaire ayant pris
des ampleurs politiques énormes où se mêlaient intérêts tribaux et ceux de
groupes d’influence. Le premier bras de fer «public» entre l’Autorité de
l’époque et un ensemble bénéficiant d’alliances sûres et déclarées. Chacun des
protagonistes y mettait ce qu’il pouvait de puissance et d’engagement. La question
était : quel juge pouvait dédire l’Autorité ?
Le 6 août 1998, cette question sa réponse : le Président de la
Cour criminelle, Mohamed Mahmoud Ould Abba acquittait Baba Ould Sidi Abdalla. Ce
n’était pas la première fois que ce Juge donnait la preuve de son indépendance
et de la régularité de son jugement.
Une année plutôt, il avait jugé le dossier de la drogue qui avait
impliqué un bon nombre de cadres de la police et de la justice. Les juges
impliqués furent rapidement condamnés par la Cour Suprême qui allait ainsi dans
le sens de ce que voulait l’Autorité qui avait visiblement monté le dossier. En fait, il s’agissait plus d’un
règlement de compte que d’une affaire fondée sur des évènements. Mais tout fut
fait pour amener le Président de la Cour à condamner les accusés pour conclure
au bienfondé de l’affaire.
Quand la Cour entra en délibération, son président coupa tout lien
avec l’extérieur et interdit à ses membres de sortir avant de rendre le
verdict. Le bras de fer cette fois se passait entre un Juge qui voulait décider
en bonne conscience et l’Autorité politique, policière et judiciaire qui tenait
à faire condamner les accusés. Ce sera l’acquittement.
Quelques heures après le verdict, je décidai de rendre visite à ce
Juge plein d’autorité et conscient de son rôle et de son pouvoir. En compagnie
d’un ami, on est allé chercher Mohamed Mahmoud Ould Abba chez lui…
C’est au milieu des garages du Ksar, dans un appartement
visiblement loué que nous devions le trouver. A 17 heures, il venait d’accomplir
son devoir religieux et s’apprêter à se servir un repas qu’il a lui-même
cuisiné. Je ne pouvais personnellement refuser l’invitation de partager un tel
repas. Puis il tint à préparer lui-même le thé. Il fumait la pipe à la manière
des anciens. Il comprenait mal pourquoi on était si excité par sa décision qu’il
trouvait «normale». A la fin de l’entretien, il parla d’un voyage qu’il
doit faire pour aller chez lui à El Agba (trentaine de kilomètres à l’est de
Nouakchott). On lui proposa de l’amener là où il devait aller. «Maa ngid,
khaayiv min nikhsir ‘la raaçi, kaavyinni inneyguebaat». Le Juge qui tenait
tête au pouvoir et qui gardait son indépendance n’avait pas de voiture
personnelle, ne voulait pas profiter de l’offre d’autrui… juste prendre un taxi
pour tous, avec les autres, en inconnu, en toute humilité…
C’est ce Juge qui devait récidiver avec l’affaire Baba Ould Sidi
Abdalla… Toutes les raisons de ne pas l’oublier, de le célébrer en se rappelant
que «shikr ejwaad, ‘ayb ekhra»… il existe quand même dans ce pays, des
Juges qui ont dit la loi quand ils sont mis à l’épreuve…
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