J’ai
toujours été subjugué par les différences culturelles qui donnent des
appréciations très différentes des hommes et des situations. Chacun a son
échelle de valeurs, sa vision des choses qui lui dictent une attitude donnée,
une appréciation donnée. Pour illustrer cela, une histoire racontée par un ami
(et frère) et qui est authentique (à préciser dans notre monde d’aujourd’hui). Avec
mes excuses à cet ami à qui je n’ai pas demandé la permission de la rendre
publique.
C’est
un groupe d’Africains, ressortissants de plusieurs pays dont la Mauritanie et l’Algérie
(les protagonistes de l’histoire). Tous attendaient les résultats d’un examen
passé ensemble. Ce qui avait créé entre eux une certaine convivialité. Ils discutaient
de tout et de rien quand l’un des Algériens entra l’air grave, les yeux rouges,
le visage livide : «Ils ont assassiné Boudiaf»… Mohamed Boudiaf, ce
dirigeant historique du Front national de libération de l’Algérie (FLN) qui a
accepté, après avoir été condamné à mort par contumace et forcé à l’exil, de
revenir participer au sauvetage de son pays après la crise sécuritaire de
1991-1992. Il devient Président de l’Algérie en janvier 1992. Mais il est
assassiné le 29 juin de la même année…
A
l’annonce de l’information, la seule fille du groupe, une Algérienne éclate en
sanglots. La peur pour son pays mais aussi pour son père haut gradé de l’Armée
algérienne, expliquent cette explosion. Notre compatriote présent s’active à
lui trouver un téléphone pour contacter sa famille. Elle se calme après avoir
parlé avec les siens et revient s’asseoir au milieu du groupe qui plie sous le
coup de l’émotion et du respect des Algériens du groupe.
«Mais
il a de la chance !» C’est la fille qui s’exclame comme ça, rompant un
silence pesant. Puis elle se lance dans les explications sur le parcours de
Mohamed Boudiaf, concluant : «Il aurait pu mourir durant son exil, dans
une briqueterie du Maroc (l’homme possédait une fabrique de briques au
Maroc, ndlr), dans une rue sombre, dans une réunion quelconque… mourir en
anonyme… mais il est revenu avec l’intention de participer au sauvetage du pays
et le voilà qui est assassiné alors qu’il se battait courageusement pour le
bien-être de son peuple… Il a de la chance !»
Oui
l’Histoire retiendra Mohamed Boudiaf comme un martyr de l’Algérie, pas comme un
homme politique quelconque…
Le
soir, les Algériens sont invités à dîner par notre compatriote chez une
expatriée mauritanienne de Paris. Comme dans toute famille mauritanienne qui se
respecte, des imprévus arrivent dont deux filles sensiblement du même âge que l’Algérienne.
Tout le monde écoute religieusement l’édition spéciale de la deuxième chaine
française, entièrement consacrée à l’assassinat de Mohamed Boudiaf, avec des
éléments sur le parcours de l’homme. A la fin du journal, alors que tous sont
encore sur le choc des mots et des images, l’une des Mauritaniennes présentes s’exclame :
«Maudit soit-il (mali’gu), quelle malchance ce Boudiaf ! Il aurait pu
vivre tranquille dans un beau pays comme le Maroc, mourir paisiblement après
avoir fait ce qui lui plait… Il va en Algérie où la situation est instable et
incertaine… huwa yal’ag».
Deux
appréciations d’un même fait… à vous d’en conclure ce que vous voulez.
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