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mercredi 9 janvier 2013

Perversités


Un enseignant donne à ses élèves un exercice où il leur demande de conjuguer le verbe «saraqa» (voler) à tous les temps de la langue arabe : le présent progressif (présent+futur), le passé et l’impératif. Que faut-il en dire ? qu’il n’a pas trouvé un autre verbe dans cette langue par lequel il pouvait évaluer l’acquisition de connaissances des enfants ? que tous les verbes se valent ? qu’il s’agit pour lui d’un verbe incolore et inodore et qu’on devait donc familiariser les enfants avec sa conjugaison ?
Quoi qu’on dise cela est révélateur de l’état d’esprit qui prévaut désormais chez nous avec notamment ce renversement de l’échelle des valeurs qui fait que le pire des comportements est normalisé. On en parle, on en a parlé mais il faut en reparler encore… Notre système de valeurs a foutu le camp sans être remplacé… La transition malheureuse que nous vivons depuis quelques décennies a cultivé certaines «perversités» sans donner de réelles valeurs…
Ces perversités commencent par cette culture de l’approximation dont je vous parlais hier, avec son corollaire : le mensonge comme valeur dominante. Aucun scrupule à répéter des histoires dont on sait qu’elles sont fausses… qu’on se plait à les répéter. Ici on ne demande pas à celui qui produit l’information – journaliste, homme de salons, chômeur désœuvré…- d’être précis dans ce qu’il dit, d’être juste ou d’être vrai dans la relation des faits. On lui demande plutôt d’être racoleur, extravagant et imaginatif. Dans une assemblée où vous rapportez un fait ce qui fera l’objet de discussions donc ce qui aura retenu l’attention, ce sont toujours les aspects les moins formels, ceux qui peuvent souffrir l’interprétation…
Mais revenons au verbe «voler» (saraqa) et à ses utilisations. Dans le temps, on disait d’un chien dont on défendait l’utilité pour le campement (les gens du désert n’aiment pas les chiens et cherchent toujours des prétextes à les exterminer), on en disait donc pour les protéger : «le chien de untel ne vole pas». On sous-entend qu’il n’est pas dangereux de le laisser parmi les humains parce qu’il n’utilise que la nourriture qui lui est servie dans des récipients qui lui sont réservés. Il ne va pas donc »souiller» les autres récipients utilisés par les hommes. Ce qui fait que la qualité exprimée à travers «untel ne vole pas» était réservée, dans notre société traditionnelle, au chien et non aux hommes qui doivent naturellement s’abstenir de le faire. On commence aujourd’hui, quand on veut célébrer l’un des nôtres, par l’expression «il ne vole pas»… ce qui en dit long sur la voie empruntée par notre société ces derniers temps.
La culture dominante aujourd’hui est celle du système D qui suppose un savoir-faire et un courage dans l’acquisition des passe-droits. L’héroïsme se confond justement avec la capacité de l’individu à passer outre les lois et règlements pour «arracher» un privilège que le droit ne lui donne pas… La culture dominante est celle qui fait fi de l’aspect moral du comportement… et comme nous sommes dans une société où l’impunité est totale, où personne n’est comptable de ses agissement, parce que nous sommes prêts à oublier. Qui se souvient encore de ceux qui ont mis à sac le pays ?