On
traverse vite, très vite, les dernières dunes du Brakna administratif. Apparaissent
alors les premiers escarpements, annonçant les plateaux du Tagant dont on
imagine la silhouette à partir de Tweyjigjit. Mais alors que l’on croit remonter
vers la région des grands poètes, la route pique vers le sud-est, avant d’aller
carrément au sud. Les plateaux du Tagant sont peu à peu remplacés par ceux de
Rgueiba et de l’Assaba. Les poètes changent de registre. Les évocations ne sont
plus les mêmes. Et «Groune Akraraaye» remplacent «trig tegaanit methadiine»
dans l’inspiration. L’on prête le flanc à Wul El Gaçri et Wul Adouba, pour ne
plus évoquer que Wul Sweidahmed ou Wul Amar Wul Maham. Le premier pour avoir
surtout chanté le plateau et sa proximité, cherchant la mise en valeur de la
force abrupte de ce relief de pierre et de poussière. Le second pour avoir eu
pour muse l’Aftout qui s’étend à la droite, un espace que seul un poète d’une
grande inspiration peut immortaliser. Seul un poète de la trempe de Erebâne Wul
Amar Wul Maham peut vous dire combien sont belles les rocailles versantes dans
les deux Gorgol, combien sont douces les brises qui caressent les fonds des
cuvettes des timrin (singulier : tamourt) et combien sont blanches les
nuits …noires de ces contrées dont la monotonie est une autre source d’inspiration
pour ce poète singulier…
Je
m’en vais emporté par les rêveries des poètes d’antan. J’échoue à réanimer la
flamme qui les a envoutés. Je n’arrive même pas à fixer un quatrain que déjà me
voilà plongé dans les calculs pour savoir combien ce voyage va me coûter en
terme de gasoil et d’hébergement. Puis je me prends à repasser dans ma tête
toutes ces querelles de ce monde, celles pour le pouvoir et celles pour l’argent…
Je
suis au pied d’Akraraye. Essiyassa – littéralement «la politique» - est une
ville, non un village-symbole d’une Mauritanie indépendante libérée de l’emprise
des forces féodales traditionnelles. Ce village est né d’une rébellion contre l’Emirat
Idaw’ish, celui qui a régné en maître sur les hommes et sur les terres du
Tagant et, au-delà, sur une grande partie de l’Assaba d’aujourd’hui. Quand,
libérés de l’emprise Bani Hassane lors du siège de Hneykaat Baghdad, les
cavaliers Idaw’ish déferlèrent vers le sud et le sud-est, refoulant les
redoutables Awlad M’Barek encore plus loin dans ce territoire encore sans
maître. Tout en étendant leur domination politique et militaire, les tribus
Idaw’ish, pourtant d’origine Sanhajienne, participèrent à l’extension de l’aire
culturelle arabe hassanienne vers le sud-est et à l’établissement d’un espace
qui est aujourd’hui celui du «Traab el Bidhâne». L’arabisation du parler n’est
donc pas forcément liée à la victoire des Hassane en d’autres lieux. Elle est
plutôt un choix civilisationnel fait par une population donnée à un moment
donné de son histoire. Le processus n’est pas exactement celui qui a causé l’hellénisation
de la culture latine…
Diouk.
Toujours le poste de Gendarmerie. Un peu plus poli, un peu plus utile parce que
le gendarme en faction m’avertit qu’il y a quelques dangers à traverser tel ou
tel pont. Mais toujours la même question dépourvu de sens pour un représentant
de l’Etat : «’arvuna ebrouçkum». Une invitation à se présenter à la
manière populaire. Vous pouvez lui donner l’identité que vous voulez, cela ne
prête pas à conséquence.
Quand
il a été mis en place en 2003, ce poste de contrôle avait été appelé «le mur de
séparation». Dans l’entendement des voyageurs, il séparait entre une Mauritanie
qu’on voulait «sécurisée» - celle de l’ouest où il y a la présidence – et une
autre où pouvait régner le désordre et l’insécurité – celle du sud-est. Pour la
petite histoire, c’est à ce niveau que la voiture transportant Ould Cheikhna et
Ould Hanenna, deux des instigateurs du putsch manqué du 8 juin 2003, s’est
arrêtée un long moment. C’est ici que le camion transportant des armes est
tombé en panne et est resté garé à côté des gendarmes trois jours durant en
août 2004. On sait que ces postes de contrôles n’ont jamais rien empêché,
surtout pas la corruption des corps qui les gèrent…
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