Il
est à Nouakchott depuis 24 heures sur invitation de l’Institut Français de
Mauritanie (ancien CCF) et déjà il anime une conférence sur le conflit
israélo-arabe dans ce même Institut. Une conférence qui a attiré grand monde. C’est
que Gresh est l’un de ces intellectuels occidentaux qui ont participé à la
maturation d’une culture progressiste sous nos cieux.
Journaliste
dans le prestigieux Monde diplomatique
dont il devient rédacteur en chef en 2005 puis directeur adjoint en 2008, Alain
Gresh s’impose comme l’un des plus grands spécialistes du conflit
israélo-arabe. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont «Israël-Palestine, vérités sur un conflit» (2001), «l’Islam, la République et le monde»
(2004) et plus récemment encore «De quoi
la Palestine est-elle le nom ?». Il est aussi co-auteur de «cent clés du Proche-Orient» (1996, avec
Dominique Vidal) et «L’Islam en question»
(2001, avec Tariq Ramadan).
Sa
manière de voir le conflit qui divise le monde et fonde des fractures énormes
dans la région, est tout simplement dictée par son attachement au respect du
droit international. Et quand on l’accuse d’être «pro-palestinien», il répond
invariablement : «non, je suis pour
le respect du droit international».
La
conférence qu’il animait cet après-midi (mardi 9/10) avait pour thème : «Le conflit israélo-arabe après les révoltes
régionales». Il l’a commencée par une description du processus historique
de la colonisation du territoire. Pour lui, il s’agit là d’abord d’un «conflit colonial». Peut-être le dernier
mais c’en est un.
Pour
différentes raisons, ce conflit colonial qui devait être réglée comme le furent
celui de l’Algérie (en boutant les colons dehors) ou de l’Afrique du Sud (en
les laissant s’établir et jouir de leurs droits de citoyens), ce conflit a fini
par cristalliser toutes les haines, remettant en surface les vieilles inimités
entre l’Occident et l’Orient et alimentant du coup tous les extrémismes
religieux.
Aujourd’hui,
et depuis les attentats du 11/9 de New York, la nouvelle grille de lecture de
ce conflit est celle qui passe par le prisme du «terrorisme international» qui
est défini comme une menace globale pour le «monde libre». Cela se traduit, en
Europe, par le renforcement des partis d’extrême-droite qui ont troqué leur
antisémitisme contre l’islamophobie mieux vendue dans ces aires où la pensée
dominante a désigné l’Islam et le Monde musulman comme «l’ennemi principal».
Cela
se traduit aussi par une perception d’Israël comme étant à l’Etat «occidental»
qui se trouve dans l’avant-garde de la lutte contre cette menace. Israël qui a
l’intelligence de se trouver des ennemis contre lesquels les opinions
occidentales sont fédérées. Un temps ce sera l’Irak, un autre l’Iran, et
entretemps ce sont d’abord les organisations palestiniennes qui luttent pour
recouvrer une partie de leurs droits.
Même
si le conférencier reconnait «le droit de
l’opprimé à répondre à la violence de l’oppresseur par la violence», ce qu’il
considère être «un droit inaliénable»,
le conférencier estime que l’une des nouveautés du «printemps arabe» réside
dans l’adoption, par les contestataires, de nouvelles formes de lutte qui s’avèrent
payantes, notamment la lutte pacifique.
Dans
un article sur «la colère des Musulmans» où il essaye de démonter cette vision
tronquée d’un Monde musulman unique et structuré, il écrivait récemment : «Il
est vrai que domine souvent dans le monde musulman un discours contre les
agressions occidentales. Mais relève-t-il seulement de la paranoïa ? On
peut dresser une longue liste des guerres menées contre des pays musulmans
depuis la fin de la guerre froide, de l’Irak à Gaza, du Liban à l’Afghanistan,
sans parler des drones qui tuent régulièrement au Pakistan ou au Yémen. Même si
ces agressions ne visent pas l’islam, elles touchent des pays appartenant tous
à «l’aire musulmane».»
Plus loin, la «lettre à ma fille» qui préfaçait le livre Israël-Palestine et qui
expliquait l’intérêt pour elle, et à travers elle de ses jeunes compatriotes,
de comprendre ce conflit : «Avec l’échec des accords d’Oslo, avec la
spirale de la violence au Proche-Orient, j’ai été pendant un temps saisi par le
découragement. Une nouvelle fois la paix s’éloignait, une nouvelle fois la
région se trouvait emportée dans la folie et les affrontements. Pis, le conflit
débordait dans l’Hexagone. Des milliers de Français juifs, souvent très jeunes,
manifestaient devant l’ambassade d’Israël, quelques-uns aux cris de «Mort aux Arabes !».
Ailleurs, d’autres jeunes Français, souvent d’origine maghrébine, clamaient
leur indignation devant la répression en Cisjordanie et à Gaza, quelques-uns
aux cris de «Mort aux juifs !».
Des synagogues ont été attaquées, brûlées. Pendant plusieurs semaines, le
spectre d’une guerre communautaire a flotté sur la «douce France». Au-delà de la condamnation de principe de
toutes les manifestations d’antisémitisme, les responsables politiques ont paru
paralysés. Dans les collèges, les lycées, des enseignants tétanisés
expliquaient qu’ils préféraient garder le silence plutôt qu’ouvrir le débat :
les solidarités «communautaires» -
les «feujs» avec Israël, les «beurs» avec les Palestiniens, les «Français
de souche» regardant ailleurs - paraissaient
tellement fortes, tellement «naturelles»,
tellement insurmontables ; il valait mieux éviter de les exacerber.»
Enfin
pour expliquer les révoltes de 2011, il explique dans une interview accordée au
quotidien L’Humanité : «L’autoritarisme de l’État et l’arbitraire
absolu qui fait que n’importe qui peut se retrouver battu et torturé dans un
commissariat, pour des raisons politiques ou non. Des problèmes économiques et
sociaux, avec une détérioration de la situation depuis dix ans par les
politiques ultralibérales. Un État providence érodé au moment où se créent des
fortunes insolentes. Une population jeune – 50 % de moins de
vingt-cinq ans – qui déboule par vagues sur le marché du travail et ne
trouve pas de travail. Même s’il y a eu une révolution démographique, les
vagues actuelles sont les plus nombreuses. En Égypte, un million et demi de
jeunes ont fêté leurs vingt ans en 2010. Cette jeunesse, plus éduquée que les
générations précédentes, a acquis d’autres schémas de pensée. Elle a grandi
dans un monde plus ouvert, avec l’accès aux télévisions, à Al Djazira, à
Internet. Elle est imprégnée de l’idéal des
droits de l’homme et des libertés, qui, contrairement à ce qu’on pensait, n’est
plus l’apanage des couches
intellectuelles
et petite-bourgeoises.»
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