J’aurai
pu dire «l’une des leçons de Cheikh Mohamd el Mamy», tellement la vie et
l’œuvre de cet érudit, véritable génie de son temps, a été studieuse pour ses semblables,
contemporains et suivants.
C’est
à lui que nous devons, entre autres concepts, la formule «al mankib al
barzakhi» pour désigner cet espace qui allait devenir la Mauritanie. Il
décrivait cet espace comme une espèce de «transition» entre le «Bilad el
Makhzen» où règne l’autorité des Monarques alaouites, où il y a un semblant
d’ordre, et le «Bilad Essoudaane» des confins soudano-sahéliens où cet
ordre et cette autorité étaient absents, mais où règnent des Almamys aux
fortunes diverses. Ce «mankib el barzakhi» se confond pour lui avec le «bilad
essiba», un espace sans loi, sans ordre…
Nous
en avons conclu qu’il s’agissait de décrire ce pays comme «une portion du
Purgatoire», une sorte de ressac où les vagues viennent s’écraser, avant de
reprendre avec force l’assaut des berges escarpées, de revenir sur elles-mêmes
pour finalement revenir s’écraser… mouvement infini de vanité, de bruit et de
fureur… éternité d’un mouvement qui dicte à la vague de venir s’écraser contre
les parois rocheuses et qui donne à celles-ci la force de résister devant ces
assauts qui n’en finissent pas d’être lancés.
Le
tournis que produit ce mouvement dans le ressac, est semblable à l’effet
produit par la contemplation de cette «portion du Purgatoire», cette «transition»
entre deux mondes, cette «wagha» entre deux rives… Les contemporains
de Cheikh Mohamd el Mamy ne pouvaient saisir la vision du
sociologue-anthropologue-érudit-poète-grammairien-astrologue-mathématicien-historien…
qu’il fut…
Nous
voyons depuis une cinquantaine d’années se dérouler devant nous le spectacle de
ce «mankib al barzakhi», où les lois de la nature sont détraquées, où
celles des hommes sont faites pour être violées. Où les jours se suivent et se
ressemblent. Où l’horizon n’est jamais visible. Où la réalité n’est jamais
perceptible dans sa vérité. Où l’imaginaire est prisonnier d’un sérieux qui n’en
est pas. Où la vérité ne compte pas. Où tout va en se détériorant. Où le temps
ne passe pas. Où l’Histoire est une négation du Progrès. Où les hommes sont
pris d’une frénésie qui les empêche de voir au grand jour.
Le
vénérable Cheikh Mohamd el Mamy avait trouvé que le meilleur pour lui et
ses semblables, habitants de ces contrées qui ont vu s’effacer l’ordre et le
temps, c’était de toujours savoir ce qu’on voulait et de ne jamais donner l’impression
de courir derrière.
«wa
nudriku maa nuuridu wa laa taraana/’alaa aathaarihi mutashadidiina»
Une
qualité que de savoir avec précision ce qu’on veut. Une vertu que de pouvoir s’abstenir
d’exprimer avec fracas ce désir. Une qualité et une vertu perdues aujourd’hui.
N’est-ce
pas l’un de nos plus gros handicaps que celui de ne jamais savoir ce qu’on veut ?
de toujours déclarer une intention, de déployer une stratégie qui sied pour une
autre, de le dire de mille manières, de façon à noyer le sujet et à rester dans
ce «flou artistique» qui laisse place à toutes les interprétations. On continue
de tourner en rond à cause de cela…
Et
pendant que nous tournons en rond, le monde avance autour de nous, la terre
tourne, les hommes changent… et nous ?
Notre
élite aspire à la Modernité, du moins normalement. Mais est-ce que son
comportement quotidien exprime ce désir ? ses faits et gestes nous
disent-ils ce que cette élite veut: le statu quo ou le changement social ?
Nos
politiques revendiquent la démocratisation. Qu’est-ce qui nous le dit ? que
font-ils pour cela ?
Nous
voulons la transparence, la bonne gouvernance, la lutté contre la gabegie, une
meilleure utilisation des ressources au profit de la communauté et non des
particuliers… Et en même temps nous cherchons à perpétuer les comportements
antérieurs, l’ordre ante, continuer à entretenir les intermédiaires politiques
par les prébendes…
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