Parler de Mohamed Ould Abdel Aziz n’est pas chose aisée. Plus difficile encore d’en dresser le portrait. L’homme est méconnu. Tout comme le politique. Alors que son parcours dérange, ses manières dérangent… ce qui en a fait un malaimé.
En juin 2003, j’ai rencontré pour la première fois Mohamed Ould Abdel Aziz, à l’époque lieutenant-colonel, commandant le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP). Il venait de vivre la dure épreuve du putsch du 8 juin. Il fut – je l’avais écrit à l’époque – l’élément moteur de l’échec de ce coup qui a coûté cher au pays (17 morts dont Mohamed Lemine Ould Ndeyane, chef d’Etat Major à l’époque). Son bureau portait encore les stigmates de la folle entreprise : vitres brisées, murs perforés, impacts de balles partout… de quoi se dire que le commandant du BASEP avait été un objectif.
«Tu sais, si ce type (Ould Taya, ndlr) ne tire pas la leçon de ce qui vient de se passer, le pays risque d’aller à la dérive». C’est à peu près ce que le colonel Ould Abdel Aziz m’avait dit en me racontant le retour épique de l’équipe à la présidence après plus de 24 heures passées soit en combattant (pour lui) soit en se terrant dans le camp de Garde (pour le Président et sa suite). Ce n’était pas facile pour un officier de l’époque de tenir de tels propos devant un inconnu qui plus est un journaliste.
Le 28 janvier 2006, au Palais des Congrès, feu le colonel Eli Ould Mohamed Val vient de pérorer sur le vote blanc, le présentant comme une troisième voie pour éviter les candidats civils. La salle est estomaquée. Le colonel Ould Abdel Aziz, toujours commandant du BASEP, se lève. Je lis la fureur sur son visage. Il ajuste sa tenue et se rend immédiatement à son QG. Il ordonne le déploiement de ses unités. Il me parlera plus tard d’une «tentative de coup» sur le processus de la part de son cousin, président du CMJD.
«Un officier n’a que sa parole à donner et nous nous sommes engagés à mener un processus qui doit nécessairement aboutir à une élection libre. Ni prolongation de la transition, ni entorse au processus ne seront permises». Fermeté et engagement pour faire respecter le chronogramme décliné à la suite des journées de concertations.
Juin 2008, je suis appelé par la présidente effective de la cellule de communication de la Présidence. Elle veut discuter de la situation politique du pays, me faire comprendre ce qui se passe. A l’expression de son visage, je vois que les choses se corsent. Comme je suis à la présidence, je vais voir le Général Mohamed Ould Abdel Aziz – devenu chef du cabinet militaire du Président.
«Tu vois comment la cellule de communication instrumentalise la presse contre moi, me dit-il en exposant des articles truffés d’insultes à l’égard de sa personne et de ses alliés. Je peux te dire qu’il n’y aura pas un coup d’Etat, que ce qui sera entrepris respectera la Constitution». J’en déduis que la crise est profonde. Je vais dans le bureau de Boydiel Ould Hoummoid, fraichement nommé ministre secrétaire général de la présidence. Je lui fait part de mes inquiétudes et lui expose ma lecture : son prédécesseur, et globalement l’entourage civil du Président Ould Cheikh Abdallahi, a engagé un bras de fer avec l’aile militaire du pouvoir, une démarche suicidaire et dangereuse pour l’équilibre du pays et pour la démocratie, j’interpellais en lui sa sagesse et son non engagement dans cette querelle pour essayer de recoller ce qui peut l’être.
Suivront les événements que l’on sait : tentative de régler le différent par députés interposés, offensive de l’aile civile du pouvoir, limogeage de tous les chefs militaires en pleine nuit et coup d’Etat du 6 août.
Octobre 2008, je suis convoqué à la présidence. Le Général Ould Abdel Aziz semble serein malgré toutes les menaces qui pèsent sur son pouvoir : refus de la communauté internationale de le reconnaitre, contestations intérieures et essoufflement du pays qui vit sous la menace de l’instabilité depuis quelques mois. Il parle des Etats généraux de la démocratie. Je lui dis qu’ils ne signifieront rien si l’opposition n’y participe pas.
«Elle va y participer. Nous ne ferons aucune démarche politique qui n’inclut pas tous les acteurs ou en tout cas la majorité d’entre eux. Même s’il y a des élections, ce ne sera qu’avec tout le monde».
Janvier 2011, nous revenons d’un voyage en Afrique du Sud quand je suis reçu en cabine première par le Président de la République. Nous parlons de la situation en général et j’arrive à provoquer une discussion autour du dialogue espéré entre le Pouvoir et l’Opposition.
«Rien, absolument rien, ne doit rester tabou et tout ce qui sera décidé sera appliqué dans les délais impartis». Je ne peux m’empêcher de soulever la question des limites que doit prendre la réforme constitutionnelle envisagée. Est-ce qu’elle va toucher les articles limitant les mandats ?
«Non ! Ce n’est pas notre objectif. Ceci dit, si de l’autre côté, on essaye de faire sauter le verrou de l’âge, je ne vois pas pourquoi les nôtres n’auront pas le droit de soulever cette question». Un an plus tard, il renouvelle en ma présence la même détermination sur la question. Puis une autre fois en février 2013. J’écris alors un texte avec pour titre : «2019, c’est déjà demain». J’entreprends aussi une démarche en vue de sensibiliser les grands acteurs de la scène politique sur l’importance de ce rendez-vous qui doit nécessairement constituer une alternance même mécanique à la tête du pouvoir…
Des moments qui résument pour moi cette personnalité : le franc-parler, la fermeté, la témérité et la détermination. Des qualités autrement perçues par ses détracteurs qui voient en lui un homme «introverti», «emporté», «rustre» et «méprisant». Oubliant que cet homme-là les a menés en bateau jusque-là.
D’abord pendant la première transition en les emmenant, pour la plupart, à voter Ould Cheikh Abdallahi, un candidat sorti d’on ne sait où. Ensuite en 2008, en jouant l’ordre constitutionnel pour dénoncer le retour en force du système décrié de l’avant août 2005. En les amenant plus tard à signer l’Accord de Dakar et à organiser conjointement des élections où il s’est présenté comme le promoteur du changement contre une alliance contre-nature entre soutiens et opposants de l’ancien régime.
Aujourd’hui encore, il a porté un coup majeur à ses détracteurs qui lui ont toujours dénié la faculté de discerner ce qui est bien pour lui, pour son peuple et pour son pays. Ceux-là ont véhiculé l’image d’un dictateur sans foi ni loi.
Et voilà que par le renouvellement solennel de sa volonté de respecter la Constitution après tant de tumulte, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz dément tous les pronostics et détruit les préjugés entretenus à coup de rumeurs imbéciles.
L’officier qui a libéré le pays du joug d’une médiocratie assassine en août 2005, qui a refusé d’abdiquer en 2008, est l’homme qui a pris sur lui le devoir de remettre le pays sur les rails.
Après dix ans de construction et de refondations, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz accepte de diriger un passage de témoin, une alternance pacifique et, quelque soit celui qui lui succédera, une normalisation voire une stabilisation du système politique mauritanien.
C’est possible. Mais seulement si l’ensemble des acteurs regardent le moment présent comme une nouvelle opportunité de convergence…
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