L’Association
des Ulémas vient d’émettre une Fatwa sur l’illégitimité et l’illégalité de
toute forme d’esclavage encore existante en Mauritanie. On peut s’en féliciter
si l’on s’en tient à tous les avis religieux émis ces soixante dernières
années, pour lutter contre cette pratique abjecte.
Dans
la Mauritanie des premières années de l’indépendance, cette lutte a été prise
en charge par la bataille pour l’enracinement de l’Etat moderne. On a encore à
l’esprit les fameuses circulaires de Mohamed Lemine Hammoni, alors commandant
de Cercle de Nouadhibou, du ministre de la Justice Maloum Ould Braham en 1968,
et des notes écrites çà et là par les commis de l’Etat et les dignitaires du
parti au pouvoir de l’époque.
Il
y a eu aussi l’action non moins importante des jeunes organisés au sein de
mouvements politiques progressistes, comme celui qui deviendra le mouvement des
Kadihines. Ce mouvement fera de la lutte contre l’esclavage et de l’égalité des
citoyens une cause politique et sociale, mais aussi une inspiration littéraire.
Comme tout mouvement de jeunes, il sera combattu par l’establishment
socioreligieux et politique en place.
Il
faudra attendra 1980 pour voir une première Fatwa émise par un groupe de Ulémas
sur insistance du pouvoir militaire de l’époque pour légitimer du point de la
Chari’a l’ordonnance du comité militaire interdisant la pratique de
l’esclavage. Mais cette Fatwa portait en elle toutes les raisons de la
combattre : elle reconnaissait les droits des anciens maîtres et invitait
à les dédommager. Une aberration qui constituera le péché originel de la
loi et qui lui enlèvera son caractère révolutionnaire.
La
Fatwa actuelle est bien donc la première du genre, ce qui ne lui accorde
aucunement ce caractère révolutionnaire qu’on aurait bien pu espérer de nos
élites religieuses. Bien sûr il y eut les siècles de joutes entre différentes
écoles religieuses en Mauritanie, les unes interdisant la pratique, les autres
la défendant. Mais dans l’Etat moderne, aucune voix religieuse officielle ne
s’est jamais levée pour dénoncer d’un point de vue religieux cette pratique
odieuse.
C’est
fait aujourd’hui dans le cadre de la feuille de route élaborée par le
gouvernement en étroite collaboration avec les instances spécialisées de l’ONU.
Cette feuille de route qui s’articule autour de 29 points a fait l’objet de
plusieurs séminaires, rencontres et communications aux Conseils de ministres.
Elle propose un traitement global et multisectoriel. Elle oblige, en cas de
flagrance de la pratique, les maîtres à verser une compensation aux victimes.
Elle engage le gouvernement à mettre en œuvre des programmes d’insertion pour
les victimes de ces pratiques esclavagistes. L’objectif étant de libérer
mentalement et matériellement les esclaves et de leur donner les moyens de
l’autonomisation. La feuille de route avait prévu la création de tribunaux
spéciaux pour traiter la question. Il y a quelques semaines, le gouvernement
avait adopté la création d’un Tribunal spécial qui n’a pas encore vu le jour.
Si
la loi 048/2007 a criminalisé la pratique, il a fallu l’amender pour d’abord
définir l’esclavage et les pratiques esclavagistes, ensuite alourdir les peines
encourues par les bourreaux.
Ouvrant
en novembre dernier des séminaires sur la feuille de route, le militant et
président de l’ONG SOS-Esclaves, Boubacar Ould Messouad insistait pour dire que
«la société mauritanienne, toutes composantes
confondues, étant profondément inégalitaire, il s’impose à tous les courants
progressistes de conjuguer leurs efforts car l’unité nationale ne peut se bâtir
sans la liberté». Soulignant que l’objectif «n’est pas de confronter les
esclaves et les esclavagistes car nous savons que maitres et esclaves sont
acculés par le poids de l’héritage social, mais de les sensibiliser sur les
moyens d’éradiquer le phénomène».
Le vieux combattant n’a pas manqué de rappeler :
«Nous avons été arrêtés et jugés à Rosso en 1980 par un tribunal présidé par
un colonel pour avoir osé mettre sur la table cette problématique», suite à
quoi, «le régime de l’époque a fait la déclaration du 5 juillet 1980
condamnant l’esclavage».
Mais 27 ans ont été nécessaires pour arriver à la
criminalisation formelle de la pratique, 31 ans pour l’inscrire dans la
Constitution et 33 ans pour arriver à une délégitimation sans réserve des
autorités religieuses. Une lenteur qui explique en partie la radicalisation
dans les revendications.
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