A la suite de la mutinerie de la prison centrale de Nouakchott, les
autorités judiciaires sont vite montées au créneau pour se justifier plus que
pour éclairer. Un passage des propos entendus, l’affirmation que la décision de
libérer ceux parmi les prisonniers dont la peine avait expirée avait été prise
le vendredi même, «mais des problèmes personnels avaient empêché la mise en
œuvre de la décision avant la fin de l’heure légale».
En entendant cela, je me suis rappelé des propos similaires tenus en
avril 2002 par le directeur de la police politique qui me retenait alors depuis
douze jours. Il arrive avec ses principaux collaborateurs et me dit : «Tout
est fini, la décision de te libérer est prise parce qu’on n’a rien trouvé
contre toi. Mais on arrive en fin d’heure et je ne peux procéder à sa mise en
application parce que je vais en weekend». Et en riant : «…quarante-heures
de plus ce n’est rien, à la première heure dimanche tu pourras aller chez toi…»
Treize années séparent les deux affirmations, mais leur effet est le
même. Leur justificatif aussi. Voilà qu’un responsable – peu importe s’il est
de la police ou de la justice – peut décider de maintenir en prison quelqu’un
qui est libre par le fait de la loi ou de la décision politique. Peu importe
pour ces gens si les détenus souffrent, peu importe ce que la liberté signifie
pour quelqu’un qui en était privé, peu importe si leurs décisions personnelles
respectent ou non la morale, la loi… Un abus d’autorité, voilà ce que le
Procureur a reconnu l’autre soir à la télévision publique.
Cet abus d’autorité, le ministère de la Justice avait cherché à
l’éviter. Il y a quelques années, le ministère avait commandité un système
d’alerte pour permettre à la direction des prisons de suivre l’état
d’avancement de la peine de chaque prisonnier électroniquement. A la fin de la
peine, un bip permettrait aux autorités concernées d’agir immédiatement.
L’Union Européenne avait financé ce projet dont le mécanisme n’a jamais été
utilisé par les autorités concernées. Après cet incident, il est temps de
s’approprier et d’activer ce mécanisme qui existe sous forme de projet parce
que personne n’en veut au ministère.
Ce qu’on nous cache et qu’on n’a pas pu comprendre à travers tout ce qui
a été dit et écrit sur la question, c’est que les prisonniers sont une source
de revenus. Tant qu’ils sont là. Pour tout le système, judicaire et
pénitencier.
A la longue, un système maffieux s’installe où chacun trouve un petit
quelque chose à soutirer. De l’avocat, au juge, au gardien de prison, au codétenu…
tout le monde… a besoin de prisonniers.
En contrepartie, les prisonniers établissent facilement des rapports de
complicité avec cet environnement dans lequel ils sont obligés de s’adapter.
C’est seulement ainsi qu’on peut comprendre comment des prisonniers salafistes
peuvent avoir des Smartphones dans leurs cellules. Ce qui leur permet de
maintenir le lien avec l’extérieur, parfois de continuer à prêcher leurs
dangereuses idéologies, à recruter…
La mutinerie de l’autre soir doit servir. Aucune impunité n’est
acceptable en la matière. Et pour le signifier, la réaction doit être rapide.
Pas besoin de rapports pour savoir que l’abus d’autorité a été exercé à
l’encontre de citoyens dont la peine a expiré ou de savoir que les prisonniers
ont besoin de sérieuses complicités pour préparer un tel coup.
Pas besoin d’analyses pour comprendre que les manquements et les excès
ont mis le pays dans une situation qui a remis en cause toutes les certitudes
concernant la sécurité et la stabilité. Qu’ils ont mis les Salafistes dans la
position des Justes qui revendiquent un droit, juste ce droit… qui ont fini par
faire plier l’injustice par la violence… comment faire ensuite pour empêcher la
jeunesse mauritanienne, une certaine partie de cette jeunesse, de les adopter comme
héros… en un temps où la recherche de modèle et de héros est effrénée ?
Il y a des coupables à la faillite – même momentanée – de l’ordre et de
la justice. Il faut faire payer quelqu’un… qui ?
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