Le centre universitaire d’études sahariennes organise deux jours de
débats en hommage au professeur Pierre Bonte, ethnologue spécialiste de la
société ouest-saharienne. Celui qui est considéré par ses pairs comme l’un des
grands spécialistes – sinon le plus grand d’entre eux – de la société Bidhâne,
est mort le 4 novembre 2013 à l’âge de 71 ans.
Il s’intéresse aux milieux tribaux sahariens à la fin des années
soixante quand il commence à étudier les Kel Gress, tribu touarègue du Niger. Mais
très vite, l’étude commanditée par la MIFERMA (multinationale de mines de fer
de Mauritanie exploitant le minerai dans le Tiris Zemmour) lui permet de
découvrir l’espace qu’il appellera «l’Ouest-saharien». Il est désormais
lancé sur la piste de l’Emirat de l’Adrar qui est sujet d’une grande thèse de
doctorat en 1998. C’est l’ethnologue qui essaye d’introduire de nouvelles
notions sur les rapports tribaux dans notre région tout en faisant apparaitre
les insuffisances dans les anciennes études se rapportant aux sociétés
segmentaires qui seraient réfractaires à toute organisation centralisé du
pouvoir.
Sa vision de l’exercice des liens tribaux, des rapports entre
parenté et politique, de la pratique quotidienne de ce pouvoir… permettent au
chercheur militant qu’il est de confronter les théories du structuralisme aux
réalités de la vie dans cet espace. Cela s’accompagne pour lui d’une passion
pour la région et pour ses habitants. L’école Pierre Bonte est née d’une
convergence de vues entre de nombreux chercheurs pour lesquels c’est bien la
segmentarité de la société qui a donné les proto-Etats que sont les Emirats qui
auraient pu, très probablement si la colonisation n’avait brusquement cassé le
processus, évoluer vers un pouvoir centralisé.
Le colloque ouvert solennellement par les autorités administratives
et le Recteur de l’Université de Nouakchott, tournait autour de la contribution
de Pierre Bonte à l’anthropologie mauritanienne, à ses relations avec son
terrain de prédilection qu’est l’Adrar, à son expérience de la SNIM avec son
ouvrage «La montagne de fer» et enfin sa capacité à lire et à expliquer
la tradition orale, indispensable dans l’interprétation et dans la
compréhension de nos sociétés.
Le professeur Abdel Wedoud Ould Abdallahi (Deddoud) a rappelé
justement que le dernier résultat des recherches de Pierre Bonte se rapportant
à l’Adrar fut un article ayant pour titre : «Des textes peu exploités
des récits d’origine» où il traite des récits relatifs à l’origine des
cités et des hommes. Il commence par le récit de la naissance de Zouérate tel
que raconté encore : ce géologue australien qui aurait, survolant la
région, laissé tomber sa casquette pour décider ensuite que la future cité sera
édifiée là où sa casquette a été retrouvée. Un récit qui nous rappelle quelque
peu la légende de Chinguitty : on raconte que l’ancêtre des Laghlal,
marabout vénéré pour son savoir, avait perdu l’une des feuilles du Livre Saint
qu’il lisait, qu’il décida alors de fonder une ville là où cette feuille sera
retrouvée, ainsi naquit Chinguitty selon l’une des nombreuses légendes.
Pour l’anthropologue, ces histoires ne sont pas de simples récits
qui alimentent l’imaginaire des groupes sociaux, mais elle servent tantôt à
légitimer leur présence dans un lieu plutôt qu’un autre, tantôt la prédominance
du groupe, bref il faut percevoir tout ce qui se rapporte au mythe fondateur. D’où
l’importance de l’analyse de la relation entre légende, mythe et Histoire pour
déterminer l’historicité de ces récits.
L’étude de ces récits permet aussi d’expliquer les mécanismes des
luttes de classement au sein des communautés mais aussi entre elles. On est d’origine
Arabe, Sanhadja ou Bavour selon le récit qu’on se fait pour remonter à telle ou
telle généalogie. L’occasion pour le Professeur Deddoud d’essayer de percer le
mystère des ces populations Bavour qui ont disparu. Il s’agit peut-être de
populations berbères d’avant l’introduction du dromadaire. Elles pourraient
avoir été Chrétiennes ou Juives, avant d’adopter l’Islam Kharijite Ibadite d’où
la présence de chiens dans leur capitale qui aurait été Azougui qui deviendra
plus tard la forteresse almoravide.
Plus tard, bien plus tard, les luttes de
factions tribales vont cesser d’épouser les liens stricts de sang pour prendre
la forme de groupes d’influence qui se battent pour le pouvoir. C’est ainsi que l’Emir changeait en même temps
que sa faction. Il s’agit là d’une évolution qui dément toutes celles qui
soutenaient que l’Emirat répondait à une volonté européenne d’avoir affaire à
un seul interlocuteur. Au contraire cette alternance allait donner un système
judiciaire indépendant, des auxiliaires de justice, un corps de police et
parfois des vizirs. L’embryon de l’Etat centralisé était là. La thèse de Pierre
Bonte et de ceux de ses collègues qui l’on suivi et/ou accompagné trouve ici toute
sa justification.
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