Pour revenir au congrès du FLAM (front de libération des
Africains de Mauritanie), il faut souligner le comportement des autorités. Ce
congrès signe la concrétisation du retour définitif de l’organisation (non
reconnue) sur le territoire national. Il arrive au bout d’un processus qui a vu
les dirigeants du mouvement plusieurs fois reçus par le Président de la
République Mohamed Ould Abdel Aziz. Ce qui a été ressenti comme une «normalisation»
d’un mouvement dont la diabolisation a constitué l’inspiration de la politique
officielle durant les années 90. Surtout que ces dirigeants ont été reçus par
les chefs de partis (certains d’entre eux) plus ou moins officiellement.
Le 8ème congrès arrivait donc pour donner
l’occasion à ce mouvement d’investir le champ politique «normal», en
attendant probablement la reconnaissance formelle d’un parti. C’est donc sans
surprise que la direction du mouvement a eu l’autorisation de tenir son congrès
annoncé en grande pompe à Nouakchott pour les 29 et 30 août.
Quelques jours avant la tenue du congrès, un article est
publié sur le net avec comme titre : «un mouvement séparatiste tient un
congrès à Nouakchott». S’en suivit une cabale générale qui rendait coupable
le pouvoir de Ould Abdel Aziz de «laisser saper l’unité nationale». Un
grief de plus à formuler par les détracteurs du régime, déterminés à le faire
chanceler. L’article a suffi pour que la préfecture de Tevraq Zeina où le
congrès devait se tenir signifie sa décision d’interdiction pour la tenue d’une
telle manifestation.
Il y a quelques semaines, les jeunesses affiliées au parti
islamiste Tawaçoul (ou proches de ce parti) avaient eu l’autorisation de tenir
des journées de retraite à Aïoun au Hadh el Gharby. Ici encore, un article
publié sur le net faisait de cette manifestation «le début de
l’embrigadement militaire des jeunes islamistes». Décision de
l’administration immédiate : interdiction de la tenue de la manifestation.
L’administration se rétractera plus tard, quand les chefs de l’initiative
avaient déjà décidé de l’organiser dans un espace privé (exactement comme le
FLAM qui a fini par tenir son congrès dans le domicile de son chef, Samba
Thiam).
Ces deux événements dénotent de l’une incapacité de
l’administration à accompagner le climat général qui règne sur la Mauritanie,
et qui est celui de la libre expression, du droit aux réunions et aux
rassemblements. Au moment où elle ne lève pas le moindre doigt pour empêcher la
tenue de réunions tribales. Cette administration n’a pas encore pu s’affranchir
de ses anciens réflexes qui tendaient à étouffer toute velléité d’expression
jugée «hors cadre».
Si l’administration ne veut pas se conformer aux lois en
vigueur, elle doit au moins accompagner – à défaut de servir – la volonté du
Président Mohamed Ould Abdel Aziz dont la première fierté est d’avoir sécurisé
le pays et d’avoir laissé s’épanouir la liberté d’expression. Ce sont là
effectivement deux des «acquis» qui ont été largement mis en avant lors
de la dernière campagne électorale présidentielle.
La sécurisation du pays est effective depuis que l’Armée a
pu recouvrer le contrôle de l’ensemble du territoire national dont les deux
tiers étaient abandonnés aux trafiquants et intervenants illégaux de toutes
sortes pendant plus de deux décennies. Les menaces concrètes sur la stabilité
du pays et sur la sécurisation des biens et des personnes pèsent beaucoup moins
aujourd’hui. Elles sont entrées dans le domaine du gérable, de «l’acceptable»
dans la mesure où ce qui peut arriver ici est du même ordre que ce qui peut
arriver à Paris, à Rabat ou à Moscou. Nulle part, on est à l’abri de quelques
actions désespérées. Par contre, nous devons être heureux (et fiers) d’avoir
repoussé définitivement les menaces qui pesaient sur notre devenir.
A l’intérieur, la libéralisation effective de l’espace
audiovisuel, de la parole et du rassemblement a elle aussi contribué à
sécuriser le pays dans la mesure où elle sert d’exutoire pouvant nous éviter un
trop-plein de frustrations. C’est en général sur ce trop-plein d’aigreurs que
se développent les courants violents et sectaires. Tant que la liberté
d’expression et de rassemblement existe, les acteurs s’en tiendront à
confronter les idées (s’il y en a), à rester au niveau des mots et des concepts.
Il y a des Mauritaniens – d’éminents essayistes, de
politiques emblématiques – qui ont soutenu ici la nécessité de créer un Etat
propre aux Arabes (Maures), Touaregs et assimilés pour résoudre les problèmes
de coexistence dans l’espace sahélien. Personne n’a crié au scandale parce
qu’il s’agit d’une proposition qu’il faut laisser passer sans commentaire ou
qu’il faut discuter, chacun étant libre d’apprécier ou non.
D’autres Mauritaniens ont souhaité, parfois explicitement,
le renversement du pouvoir par la violence (coup d’Etat, révolte populaire,
assassinat…). D’autres ont chanté les Jihadistes pourtant coupables
d’assassinats sauvages et d’attentats contre l’Armée mauritanienne. Ils ont
traité en martyrs des criminels qui ont tué froidement souvent des policiers,
des soldats, des officiers mauritaniens, des amis de la Mauritanie étrangers
parmi nous. Cela n’a suscité aucun émoi public et c’est peut-être tant mieux.
Dans la mesure où nous sommes encore dans la phase de maturation des discours
et de l’action politique, et où il est difficile aussi de discipliner une élite
habituée à ne pas rendre compte de ce qu’elle dit ou fait. Ce qui lui donne
l’impression de bénéficier d’un statut d’impunité irrévocable.
Je crois que l’administration mauritanienne – le ministère
de l’intérieur et dépendances – ne doit plus avoir peur de quelque expression
que ce soit. Par la voix de son chef, le Président de la République, l’Autorité
publique a déclaré refuser de limiter l’espace des libertés. Par lui, la
promesse était donnée de ne plus envoyer un citoyen en prison pour ses idées ou
ses positionnements politiques. La dépénalisation du délit de presse est
effective parce que consacrée par la loi.
Nous voulons un espace
ouvert. Totalement ouvert. Parce que nous n’avons plus peur de confronter nos
idées, de nous écouter les uns les autres… nous pouvons désormais ce que nous
voulons. A notre administration de se libérer de ses réflexes monstrueux
d’antan.
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