Vue d’ici, la marche des rapatriés qui a quitté Boghé
il y a quelques jours, est une sorte d’objection de conscience en ce qu’elle
comporte d’expression pacifiste et «démocratique» dénonçant une
situation alarmante. Elle est aussi l’occasion de se rappeler d’où viennent ces
compatriotes, non pas pour désamorcer la colère actuelle, mais pour rappeler
toutes les colères légitimes qui auraient dû s’exprimer au moment des faits et
qui ont préféré le silence sinon la complicité franche et absolue. Ces «rapatriés»
qui marchent, au nom de tous les autres, sur la capitale, ces rapatriés furent
des «déportés».
En avril 1989, s’ouvrait pour la Mauritanie une ère de
confrontations qui, après avoir pris l’allure d’un conflit avec le Sénégal,
sont devenues l’occasion pour l’Autorité de l’époque d’épurations épouvantables
qui ont touché des milliers de nos compatriotes de la Vallée. Cette période
noire de l’Histoire du pays, s’étendra sur quelques années : elle ne
s’arrêtera qu’à partir d’avril 1991, date de l’annonce de la démocratisation du
pays et à la suite de laquelle le régime va procéder à la libération des
prisonniers négro-africains retenus à la suite du faux complot, occasion d’une
épuration.
Si les déportations s’arrêtent à cette date, la
souffrance des victimes va continuer. Une première vague revient en catimini au
milieu des années 90. Il faut attendre la reconnaissance solennelle par Sidi
Ould Cheikh Abdallahi des faits en mai 2007 pour voir s’enclencher le processus
de retour. La résistance au sein du système fortement investi par les
responsables de l’époque des crimes, ne permettra pas cependant d’y aller
franchement. C’est seulement après le coup d’Etat du 6 août que le pouvoir va
procéder à des actes significatifs (prière de l’absent à la mémoire des morts,
reconnaissance des crimes commis, excuses de la Nation…). Le processus de
rapatriement est clos le 24 mars 2012 par l’arrivée de la dernière vague de 297
personnes à Rosso en présence du Haut Commissaire aux réfugiés des
Nations-Unies et du Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Selon l’accord signé
avec le HCR en novembre 2007, le calvaire de l’exil prenait ainsi fin pour des
milliers de Mauritaniens chassés de chez eux pour des raisons diverses après le
rapatriement officiel de 107 contingents.
Rentrés chez eux, ces compatriotes n’ont pas eu tous
leurs droits. Si la plupart d’entre eux ont été réellement et plus ou moins
convenablement insérés, nombreux sont ceux qui sont restés dans la misère. Mais
le combat qu’ils mènent se passe normalement dans le cadre de la légalité
nationale et à travers les procédés prévus par la loi et la tradition. Dont
cette marche.
Encore une fois, il faut s’en prendre aux hommes
politiques pour différentes raisons. D’abord parce que la misère de ceux-là a
vite été oubliée (ignorée) quand elle n’est pas apparue comme une opportunité à
utiliser pour mobiliser la rue. Ensuite parce qu’ils ont laissé la scène à ceux
qui ont été coupables des pires exactions dont ont été victimes les milliers de
nos compatriotes. Les hommes qui ont sévi durant les années noires sont connus,
les populations ne les ont pas oubliés. Ministres, Walis, secrétaires généraux,
conseillers publics ou occultes, directeurs politiques, responsables de la
sécurité… tous sont là et occupent à présent la scène politique mauritanienne
qui leur a permis de muer et de faire oublier leurs crimes.
Ne nous
étonnons point si pas grand monde ne va à la rencontre de ces marcheurs :
ils sont une sorte d’objection morale à ceux du sérail du PRDS et du régime de
l’époque qui emplissent les airs de leurs ricanements hideux.
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