Au début était le journalisme : Gabriel Garcia Marquez est
arrivé à l’écriture littéraire en passant par le journalisme. Quand il publie Récit
d’un naufragé en 1970, il ne fait que reprendre les éléments d’une enquête
publiée au milieu des années 50 (sur quatorze articles). Huit marins colombiens
tombent à l’eau alors qu’ils sont à bord d’un navire de guerre. Le gouvernement
colombien invoque le «mauvais temps» (une tempête) pour expliquer le
drame. Grâce à l’enquête journalistique de Garcia Marquez, on découvre qu’il
n’y a jamais eu de tempête et que les marins ont été victimes d’un chargement
frauduleux de marchandises à bord du navire qui n’avait pas vocation à
transporter les marchandises.
C’est sans doute cette vocation de journaliste qui donne à l’auteur
l’une de ses plus significatives figures de style : le réalisme dans la
description des protagonistes et dans la relation des intrigues choisies.
L’autre particularité de l’auteur étant sa force dans la «manipulation»
des faits pour en faire un récit où le fantastique et la légende le disputent
justement à ce réalisme dans le fonds. Avec lui, on est tangue toujours entre
le réel, le vécu et l’imaginaire, le mythe. Là réside d’ailleurs sa première
force.
Au milieu des années 70, la génération à laquelle j’appartiens se
libérait peu à peu du joug de la pensée unique à multiples faces. Dans son
apparence «sociétale traditionnelle», avec cet ordre profondément
inégalitaire et dont les conservatismes inhibaient toute volonté de modernisme.
Dans son apparence de mouvement de gauche, passagèrement marqué par les dérives
autoritaristes du communisme qui nous vient de loin, largement flétri par le
trajet et les interprétations.
On venait de s’ouvrir le Monde grâce à une émancipation que nous
devions alors à des auteurs et des genres littéraires. Frédéric Dard avec la
série San Antonio, la bande dessinée avec Goscinny et Uderzo (avec notamment la
série Astérix), Franquin (notamment Gaston Lagaffe), mais aussi
et surtout de grands auteurs que nous avalions avec délectation comme Ernest
Hemingway (Pour qui sonne le glas, L’adieu aux armes), Faulkner (Le
bruit et la fureur, Absalon absalon !), Dostoïevski (Crime
et châtiment, L’idiot), Arthur Koestler (Le zéro et l’infini),
Margaret Mitchell (Autant en emporte le vent)…
On commençait à humer pleinement l’air de la liberté, à goûter aux
odeurs enivrantes de la création poétique et littéraire, à sentir le souffle de
la force de l’imagination… Ce qui ouvrait grand notre appétit intellectuel…
Tout ce qui n’était pas inscrit dans le programme scolaire nous emportait vers
les frontières de ce qui nous paraissait relever de l’Infini.
C’est à ce moment-là que nous découvrions Gabriel Garcia Marquez, d’abord
à travers Cent ans de solitude, puis La Mala hora avant de tomber
littéralement sous la foudre de L’automne du Patriarche. Œuvre après œuvre,
on s’inoculait un virus bienfaiteur qui allait définitivement nous affecter. Viendront
les œuvres comme L’amour aux temps du choléra, Le général dans son
labyrinthe, Chronique d’une mort annoncée, De l’amour et autres
démons, Journal d’un enlèvement, et dernièrement Vivre pour la
raconter (récit autobiographique).
Ce n’est certes pas l’attribution du Nobel de littérature à cet
écrivain prodigieux qui nous avait influencés. En 1982, nous étions déjà
malades de cette littérature, de cette façon d’écrire qui respirait la richesse
d’un patrimoine immense et exprimait la force d’un engagement humaniste sincère.
L’une des caractéristiques de l’écriture de Gabriel Garcia Marquez,
c’est qu’elle est exponentielle. Dans les années, j’aimais comparer un roman
mauritanien où le personnage principal mourait dès les trois premières pages et
le roman de Garcia Marquez où apparait un personnage nouveau toutes les deux
pages. Cette écriture exponentielle s’accompagne chez Garcia Marquez par une prodigieuse
capacité de description des personnages qui fait croire à leur existence malgré
l’atmosphère fantastique dans laquelle ils évoluent. On est as loin, quand on s’arrête
de lire un roman de Garcia Marquez, de s’attendre à rencontrer l’un des
personnages au détour d’une rue de Nouakchott, dans un restaurant de l’époque
ou dans un rassemblement du Nouakchott mondain. La description physique et
morale des personnages est si précise qu’ils deviennent des amis, intimes ou
pas, des adversaires et même des ennemis. La proximité est créée par le
truchement de la perspicacité de la description.
A lire absolument de Gabriel Garcia Marquez :
L’amour aux temps du choléra dont
la trame se construit autour d’un amour qui prend son ampleur alors que les «tourtereaux»
ont dépassé les soixante-dix ans «alors que la mort est tout autour d’eux».
Inspiré par l’assassinat de deux Américains autour desquels un mythe a été
construit : on disait d’eux qu’à 80 ans, ils se donnaient rendez-vous
chaque année à Acapulco pour revivre leur intense passion. C’est un peu la
reprise de cette histoire – ces histoires plutôt – que va se construire le
roman de Fermina Daza et Florentino Ariza, ce roman qui raconte leurs amours
éternelles.
Cent ans de solitude qui
raconte, à travers une saga familiale, l’histoire de l’Amérique Latine avec ses
misères et ses splendeurs. C’est le plus apprécié de l’œuvre de Garcia Marquez
malgré l’avis de l’auteur qui l’a toujours considéré comme une œuvre mineure.
L’automne du patriarche
inspiré par la fuite du dictateur vénézuélien Marcos Pérez Jiménez. Selon l’auteur,
il s’agit là d’«un poème sur la solitude au pouvoir». A travers la
grandeur et la décadence de ce Général, Garcia Marquez a voulu dresser une
portrait global de tous les dictateurs de son continent.
Chronique d’une mort annoncée qui est une enquête sur un meurtre qui permet de remonter surtout
le déroulement des évènements pour en connaitre les raisons. L’auteur y fait
preuve d’une grande maitrise dans la relation d’évènements réels en les plaçant
dans un cadre qui emprunte à la magie quelques attributs.
Carlos Fuentes disait de lui qu’il était «un homme semblable à
son œuvre : solide, souriant, silencieux… maître d’un silence comme seules
les forêts tropicales peuvent en créer».
Celui qui a dit «on ne meurt pas quand on veut, mais seulement
quand on peut» est mort ce 17 avril.
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