On se réveille ce matin avec la gueule
de bois. La veille, la capitale a été sérieusement secouée par des évènements
dont on se demande encore les tenants et aboutissants. On nous apprend aussi ce
matin que 18,5% des ménages mauritaniens sont «en situation d’insécurité
alimentaire». Ce sont les conclusions d’une enquête du Programme
alimentaire mondial (PAM) qui révèle que plus 635.000 personnes souffrent de la
malnutrition et/ou de la famine (situation d’insécurité alimentaire).
«Au cours des cinq dernières
années, un taux similaire d’insécurité alimentaire n’a été observé qu’en
décembre 2008, qui fut une année d’importante hausse des prix des produits
alimentaires», nous apprend le rapport. Circonstance aggravante :
cette enquête diligentée par le PAM et le Commissariat à la sécurité
alimentaire (CSA) a été réalisée en décembre 2013 et janvier 2014, c’est-à-dire
dans une période de «post-récolte», insiste le rapport qui explique que
notre pays connait «une insécurité alimentaire chronique» parce que la
production agricole «est structurellement déficitaire et ne couvre
annuellement qu’environ 30% des besoins alimentaires de sa population».
C’est sans doute l’un des premiers
facteurs explicatifs de la facilité avec laquelle une situation peut se
détériorer pour exploser sans prévenir. Quand on ne fait pas du travail une
valeur, qu’on ne produit rien de ce que nous consommons, qu’on est incapable de
mettre en valeur les milliers d’hectares de terres cultivables (135.000
hectares dans la Vallée du fleuve Sénégal, plus de 200.0000 en zones
pluvieuses), quand on attend tout d’un donateur…, on est forcément toujours à l’affût
de l’occasion qui va permettre une aubaine.
Ajoutons à cette misère endémique, l’état
du système éducatif qui est incapable de fournir un enseignement de qualité à
ceux qui y vont, l’ignorance qui accentue l’arriération des mentalités, les inégalités
sociales qui creusent les fossés entre riches et pauvres, entre bien lotis et
mal lotis, les injustices et l’arbitraire ressentis quotidiennement, les
incohérences de l’élite encore en rupture avec les populations qu’elle tend à
mépriser, l’incapacité de cette élite à susciter un espoir, une vision… les
fractures sont nombreuses et graves.
La détérioration de la culture traditionnelle
et l’impossibilité pour nous d’entrer dans la Modernité ont donné une scène
bâtarde où tout se mêle : le religieux et le non-religieux, la spontanéité
et le calcul, la droiture et la mesquinerie, la vérité et le mensonge, le
sérieux et le vulgaire… Plus de repères, plus de valeurs, plus de lumières… l’obscurité
qui donne fatalement l’obscurantisme qui installe sa chape.
Tout cela fait de nous un terreau
favorable à toutes les visées. Il ne faut pas exclure qu’à l’origine des
évènements qui nous ont sérieusement secoués, se trouve la manipulation. D’abord
intérieure, ensuite à partir de l’extérieur parce que le terrain s’y prête. C’est
pourquoi la question primordiale à poser est celle-là : à qui profite le
crime ?
Il y a quelques semaines, on nous
rapportait, avec grand détails, que des exemplaires de Coran ont été souillés à
Zouérate. Il y a quelques jours on nous disait qu’à Kankossa (Assaba), des
exemplaires du Saint Livre ont été déchirés ou brûlés (selon les versions). De l’extrême
nord du pays, à l’extrême sud avant de venir à la capitale.
Soit tout est vrai, auquel cas il faut
penser à une belle orchestration visant à enflammer les sentiments et à
déstabiliser une Nation déjà fragilisée par toutes sortes d’agressions. Certains
analystes auront compris que ce ne sont pas les hausses de prix, ni les
contradictions politiques, ni l’exercice de l’arbitraire, ni la mauvaise
gestion… qui font bouger les masses mauritaniennes, mais l’atteinte au sacré et
sa violation. A partir de l’autodafé d’avril 2012, on aura compris que seule la
menace sur les symboles religieux peut produire un électrochoc. D’ici à croire
qu’une main se trouve derrière tout ça, il n’y a qu’un pas. Evitons quand même
d’aller vite pour dire que les protagonistes politiques y sont pour quelque
chose. Ceux visibles parmi eux – ceux du pouvoir et ceux de l’opposition ayant
été présents au Forum de la démocratie et de l’unité – n’ont aucun intérêt à
faire exploser la situation à ce moment précis. Mais il n’y a pas qu’eux.
Il y a aussi tous ceux qui aspirent à
restaurer un régime, une gouvernance et un ordre dont ils savent profiter. Ceux-là
n’ont jamais baissé les bras et savent pertinemment manipuler et provoquer. Ils
ont les relations «adéquates» à l’extérieur et les réseaux efficaces à l’intérieur.
Parce que rien n’a été démantelé des anciens cercles du pouvoir d’avant août
2005. Les plus grands désordres de l’Histoire ont été à la source des
tentatives de Restauration des Anciens régimes.
Tout ce qui a été dit peut être faux. Il
s’agirait alors d’un mensonge fabriqué avec calcul. Ce serait aussi criminel
que dans le cas où l’acte de maltraitance du Saint Coran est réel. Les conséquences
étant les mêmes, on ne peut se perdre en conjectures pour savoir s’il s’agit d’un
acte réel ou pas. Surtout qu’il est difficile aujourd’hui de revenir à la
vérité des faits. Le grand mal de la rumeur et les à-peu-près c’est qu’ils
créent une atmosphère de suspicion qui décrédibilise toute information
officielle.
Le «complot» - si complot il y
a – ne vise pas seulement le pouvoir, il participe à la destructuration de la
société et à la fragilisation de ses fondements moraux et religieux. Il est
surtout un complot contre la démocratie quand on fait attention aux premières
conclusions qui retiennent l’attention des commentateurs et des leaders d’opinion :
la liberté d’expression est menacée par tous, certains organes de presse sont
désormais dans la ligne de mire, les possibilités d’ouverture de dialogue sont
éclipsées, la parole publique et les partis sont discrédités…
La
démocratie est en danger. Entre le déficit dans la demande sociale démocratique
et l’hostilité des conservateurs et des réseaux mêlant fascisme et exclusion de
l’autre, les menaces pèsent lourdement. Jusqu’où iront les forces de l’ombre ?
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