Il fait partie de la classe politique des premières heures.
Je ne sais pas quand est-ce qu’il est entré en scène. Mais depuis que j’ai
conscience du monde qui m’entoure j’entends son nom et le voit sur scène. C’est
vous dire combien cela peut paraitre loin (n’est-ce pas ?).
Il a été le premier à faire ses valises pour quitter le
mouvement des Kadihines, aller rejoindre l’aile du pouvoir politique de
l’époque qui refusait pourtant le dialogue avec les Gauchistes d’inspiration
(forte) communiste. Cette décision, qualifiée par certains de «trahison»
et de «bravoure» par d’autres, est l’acte fondateur de la realpolitik en
Mauritanie. Il est le premier à exprimer «la politique du ventre» qui
devait régner plus tard sur les esprits et les engagements. Résultat immédiat
pour lui : on lui confia l’une des officines des renseignements et
analyses du ministère de l’intérieur. De là il pouvait «servir»
dignement son patron qui le destinait à une brillante carrière dans
l’administration. D’ailleurs, il en fit part au Président de la République de
l’époque, le très sage Moktar Ould Daddah. Et malgré les réticences exprimées
avec plus ou moins de clarté, le patron (ministre de l‘intérieur) passa outre
les objections de son Président et promut l’Animal politique.
Le ministre jugeait sans doute que «cet esprit lumineux et
utile dans le démantèlement des contestataires de l’époque» méritait mieux
et plus. Il voulut accélérer la promotion en brûlant les étapes de la carrière
administrative et politique de notre homme. Excédé par les démarches du
ministre, feu Moktar le reçut en aparté pour lui remettre une enveloppe
ouverte. «Monsieur le Ministre, lisez ça tranquillement chez vous.
S’agissant de ce cadre qui semble très satisfaisant, faites une proposition au
conseil de demain, nous l’accepterons volontiers…»
Très enchanté de pouvoir enfin récompenser ce jeune homme
intrépide, notre ministre s’en alla chez lui. Sans doute que c’est le travail
qui lui fit oublier l’enveloppe et son contenu. C’est tard dans la soirée, au
moment où il se préparait à se mettre au lit qu’il se rappela qu’il devait lire
ce qu’il y avait dans l’enveloppe avant de rencontrer le Président le
lendemain. Il ouvrit l’enveloppe et en retira deux feuillets A4 remplis
d’écritures bien droites, bien aérées et sans aucune rature. Il entreprit la
lecture depuis le début…
Le texte parlait du ministre et de ses «incartades»,
de ses «faiblesses dangereuses pour la fonction», de ses «choix
malencontreux», de ses «réseaux criminels»… tellement de mal qu’on
disait de lui qu’il s’empressa à aller vers le bas de la deuxième page en
espérant y voir le nom de l’auteur de ces perfides propos… l’auteur n’était
autre que «son» cadre chéri…
Toute la nuit, le sommeil ne vint point. Comment «faire
payer à cet ingrat sa traitrise» ? Mais les gens de cette époque-là
n’étaient pas rancuniers. Ils croyaient aussi que l’autorité ne pouvait jamais
servir les ressentiments personnels et que l’administration doit être protégée
de toutes ces considérations égoïstes. Au matin, le Ministre se dit que «son
protégé» n’avait finalement fait que continuer à trahir ceux qu’il
approchait : après tout, c’est bien pour cela qu’il l’avait engagé et
promu, pour sa capacité à trahir.
Toujours est-il que le lendemain, il ne fut point question de
proposition de nomination de la part du Ministre. Le Président s’abstiendra
d’évoquer la question et on oublia peu à peu l’existence de l’homme. Il a existé
depuis dans l’ombre avant de sortir à la lumière pour servir au grand jour les
systèmes faits d’arbitraires et de tricheries…
Avec le temps, l’homme est devenu un «révolutionnaire»
maintenant que c’est possible et que cela n’implique rien pour lui. Il moralise,
fustige, dénonce, parle de temps en temps au nom du peuple… Tranquillement, il
croit se refaire une virginité nouvelle (ou neuve) et compte beaucoup sur la «courte
mémoire» de ses compatriotes. Comme d’ailleurs nombre de ses semblables…
Non ! «on n’oublie rien… rien de rien…»
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