A peine une semaine après les
drames de Lampedusa où près de 400 personnes sont mortes lors de leur traversée
méditerranéenne, alors que les larmes coulaient encore et que les blessés et
les traumatisés tentaient de retrouver leurs corps et leurs esprits, tandis que
les survivants se débattaient encore dans leurs cauchemars, à peine une semaine
et voilà qu’éclate l’affaire Leonarda. Du nom de cette jeune fille de 15 ans
expulsée avec sa famille par les autorités françaises vers le Kosovo d’où ils
sont supposés venir. Une affaire qui éclabousse déjà le Président François
Hollande risquant de lui faire perdre le maigre taux de satisfaction (23% selon
les derniers sondages) qu’il gardait encore.
Tout commence par une intervention
policière au cours d’une expédition scolaire le 9 octobre dernier, intervention
qui visait à extraire une jeune fille de 15 ans, Leonarda Dibrani, en vue de l’expulser
du territoire français avec sa famille en situation irrégulière.
Quelques jours après, l’affaire est
révélée par les associations de l’éducation et par les professeurs de la jeune
fille qui trouvaient «inhumaines» et «inacceptables» les
conditions dans lesquelles l’opération a été menée. Surtout que la jeune fille
a été interpellée «en pleine activité scolaire».
L’occasion pour les détracteurs du
ministre de l’intérieur Manuel Valls de l’accabler, lui qui a laissé faire. Pour
les antisocialistes de monter au créneau pour dire que rien n’a changé depuis
la bande à Sarkozy (Brice Hortefeux, Claude Guéant…), que la même politique est
appliquée en matière d’immigration. Une politique visant à séduire dans le camp
de l’extrême-droite qui a le vent en poupe. Ce n’est pas pour rien que Manuel
Valls reste le plus apprécié des ministres du gouvernement actuel…
L’occasion de voir aussi la Gauche
se déchirer en laissant apparaitre ses divergences sur une question
fondamentale dans le débat français : l’immigration et la gestion des flux
migratoires. Une distance phénoménale sépare les perceptions des Communistes,
des Verts et des Socialistes, les Socialistes eux-mêmes restent divisés sur la
question.
Mais le plus grand coup est sans
aucun doute l’intervention malvenue du Président Hollande lui-même. Cherchant à
calmer les esprits, le Président Hollande est sorti de son silence pour, d’une
part soutenir son ministre de l’intérieur et, d’autre part proposer à la jeune
fille de revenir sans ses parents terminer sa scolarité. Tollé général devant
ce qui a été apprécié comme «un chantage fait à une mineure» (ou la France
ou sa famille). Le Président n’avait pas besoin de ce faux pas lui qui était
déjà au plus fort de sa désaffection par le public.
Mais au-delà des conséquences
politiques de l’affaire – conséquences qui peuvent être immédiates avec la
démission du ministre de l’intérieur ou «dans le temps» avec les
remaniements de plus en plus probables dans l’Appareil politique des
Socialistes – peut-on comprendre cette passion pour une affaire qui n’en est
pas ? comment se fait-il que médias et opinion publique ne prennent pas la
peine d’exposer les faits ? pourquoi se passionner pour des gens qui n’ont
aucun mal à trouver refuge (la famille vient de l’Italie où elle ne risquait
rien et non du Kosovo) ?
Notons que les drames de Lampedusa
n’ont suscité aucun remous au sein de la classe politique européenne, les
habitants de l’ile italienne étant les seuls à avoir fait du bruit sur les deux
drames. En France, l’élite a regardé de loin si elle n’a pas superbement ignoré
ce qui se passait à moins de deux heures de vol de Paris… mais passons.
D’après les enquêtes menées ici et
là, la famille Dibrani est composée de huit membres : le père qui a quitté
le Kosovo depuis 35 ans, la mère qui est italienne et les six enfants dont un
seulement est né en France, les autres sont nés en Italie. Quand ils sont venus
s’installer en France, ils ont prétendu venir d’un Kosovo encore instable. Pour
éviter d’être contredits, ils avaient déchiré leurs papiers italiens. Le père
cherchant à profiter des subventions promises en France à tout demandeur d’asile
ayant régularisé sa situation. Il y comptait tellement qu’il refusait toute
proposition de travail. C’est cette première constatation qui fonde les
conclusions du rapport administratif aujourd’hui mis en ligne par le ministère
de l’intérieur : «La décision d’éloigner la famille Dibrani est
justifiée en droit ; aucun des recours de M. Dibrani n’a été jugé
recevable». Parce que «M. Dibrani n’a jamais donné suite aux
propositions d’embauche qui lui étaient faites, et il ne cachait pas attendre
le versement des prestations familiales qui suivraient sa régularisation pour
assurer un revenu à sa famille».
Impliqué plusieurs fois dans des
affaires de vol, le père a toujours eu des versions différentes de son passé et
de sa provenance. Il a toujours affiché un mépris total des lois françaises. Le
piteux état dans lequel la famille a laissé l’appartement qu’elle occupait au
titre de demandeur d’asile, indique une volonté de prédation avérée :
selon les rapports, sa réoccupation nécessite de grands travaux préalables.
Sa fille, Leonarda Dibrani, séchait
régulièrement les cours et découchait tout aussi régulièrement. «Selon les
données recueillies par la mission, les absences de Leonarda au collège dont de
66 demi-journées en 6ème, 31 en 5ème, 78 en 4ème
et 21 ½ depuis le début de l’année scolaire actuelle». On est loin de l’image
angélique présentée par les médias.
Que les policiers n’aient «pas
fait preuve du discernement nécessaire» lors de l’exécution de la décision,
est un fait mais il reste qu’ils ont appliqué une décision judiciaire plusieurs
fois confirmée. Alors ?
Je suis toujours surpris par ces émois collectifs qui secouent de
temps en temps les opinions publiques occidentales en général, françaises en
particulier. Des émois sélectifs souvent. Quand on s’émeut pour la scolarité
interrompue de Leonarda (dont la famille a eu la chance de recourir à des
juridictions qui l’ont finalement déboutée), on doit avoir un mot, une pensée
pour les milliers d’enfants libyens privés parfois à jamais de leur scolarité à
cause des bombes françaises lâchées par des avions français dans une bataille
qui ne concernait en rien la France.
Un mot, une pensée pour les milliers de Syriens déchirés,
assassinés, qui voient leurs écoles détruites, leur avenir à jamais compromis
parce que la France et derrière elle une partie de l’Occident, a jugé qu’elle
avait un devoir moral d’armer une partie contre l’autre dans un conflit qui n’est
pas le sien.
Un mot, une pensée pour tous ceux qui ont souffert à cause de la
folie guerrière des gouvernements français, à cause des soutiens abusifs de l’élite,
à cause de l’indifférence générale vis-à-vis de ce qui se passe ailleurs…
S’émouvoir pour Leonarda Dibrani n’absout rien. Ce
ne peut être une prophylaxie collective à moindre prix. On n’oubliera pas les
milliers de sans-papiers africains et arabes, habitant en France, lui offrant
le meilleur d’eux-mêmes et qui n’arrivent pas à bénéficier d’une régularisation
de leurs situation. Ni ces milliers de jeunes, diplômés ou non, cherchant à
aller en Europe pour trouver de quoi vivre et qui meurent, violemment emportés
par des vagues de plus en plus puissantes, de plus en plus hautes… aussi hautes
que les murs érigés pour les empêcher d’arriver sur ces terres où ils estiment
avoir une chance…
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