Les
années se suivent sans apporter des réponses aux multiples questions qui furent
posées immédiatement, dès le 8 juin 2003. On peut donc dire qu’il ne reste du 8
juin 2003 que les questionnements. Je peux, sans besoin de le réactualiser,
vous proposer le papier que j’avais écrit le 8 juin 2003. Reposer les mêmes
questions, avouer les mêmes incapacités à donner des réponses exactes, vous
proposer quelques interprétations…
Qui a tué le colonel Mohamed Lemine Ould N’Deyane ? Qui sont les
véritables organisateurs du coup ? Quelle relation avec le 3 août
2005 ? Pourquoi Ould Taya n’a-t-il pas réagi dans le sens de l’Histoire ?
et beaucoup d’autres questions qui resteront sans réponses tant que les acteurs
n’ont pas décidé de parler. D’ailleurs, plus les acteurs reculent l’échéance de
leur témoignage, plus il devient facile pour eux de remanier l’Histoire en leur
faveur et donc de faire accréditer des contre-vérités ou, au mieux, des vérités
partielles.
Laissons-nous oser quelques réponses qui ont valeur de témoignages, de
déduction parfois de l’observateur que j’ai été. Qui ont aussi valeur de
provocations pour que les langues se délient.
Le colonel Mohamed Lemine Ould N’Deyane qui bénéficiait d’une grande
respectabilité au sein de l’Armée (et des civils) a été la grande victime de
l’événement. Mort alors qu’il défendait un régime auquel il croyait appartenir,
il n’a pas bénéficié des égards posthumes auxquels il avait droit. Oui, Ould
N’Deyane a certainement été tué par des tirs «ennemis» et non «amis»
comme on a voulu l’accréditer : au moment de sa mort, le 8 au matin (entre
8 et 9 heures), les loyalistes n’avaient pas encore mis à contribution l’armement
lourd.
Au lieu de célébrer «le martyre» comme
celui qui a refusé – les témoignages sont nombreux et concordants – de quitter
son PC de l’Etat Major parce qu’il avait peur de «trahir», le pouvoir de Ould Taya l’a ignoré, voire méprisé. Jamais
une enquête ne sera ouverte sur les circonstances de sa mort. Ni deuil, ni
consécration.
Un autre officier, tombé ce jour-là, les armes à la main, devait subir le
même sort que le colonel chef d’Etat Major. Le capitaine Ould Ouda’a, l’un des
rares officiers du BASEP à être resté aux côtés de son chef de bataillon, ne
sera pas célébré par le régime pour lequel il est mort.
Who’s who ? Nous l’avons écrit à
l’époque, le véritable cerveau de la machination est le commandant Mohamed Ould
Cheikhna. C’est lui qui, se cachant derrière un détachement parfait, avait tout
coordonné, tout planifié. C’est lui qui identifiait les officiers capables ou
disposés à faire partie de la conspiration. C’est lui qui centralisait tout et
qui tissait donc la toile en distribuant les rôles.
Nous l’avons aussi écrit à l’époque, sans les hommes et le matériel de la
division blindée que commandait le capitaine Abderrahmane Ould Mini, il n’y
aurait pas eu d’attaques, ni grand bruit. C’est donc lui l’homme de terrain qui
a d’ailleurs délibérément choisi d’armer les chars avec des munitions
d’entrainement pour éviter le carnage. On a su très tôt que sans cette
précaution, le bilan aurait été beaucoup plus lourd qu’il ne l’a été.
Libéré de l’Armée pour sa participation à un projet qui visait l’assassinat
de Ould Taya le 28 novembre 1999, l’ancien commandant Saleh Ould Hanenna jouait
le rôle d’électron libre, se déplaçant entre les conspirateurs, transmettant
les ordres et les plans. C’était plus facile – et plus «romantique» - de coller l’entière responsabilité du coup à un
chauffeur de taxi plutôt qu’à des officiers de commandement. Surtout qu’à
l’époque, nombre de réseaux de renseignement voulaient épurer l’armée de son
élément Bani Hassane en général, et des ressortissants des zones Est (Hodh el
Gharby notamment). Le délit de parenté allait frapper. Sur les deux ans que
dureront les conséquences du 8 juin, des dizaines d’officiers de ces régions,
particulièrement de la tribu de Ould Hanenna furent visés par des mesures de
rétorsion. Les civils n’ont pas non plus été épargnés.
C’est ainsi que Ould Taya a été vite enfermé dans cette logique revancharde
qui l’a mené à l’aveuglément et au refus de croire que l’heure de l’ouverture
avait sonné. Son appareil – politique, financier, administratif – avait été
gagné par une boulimie qui a accru ses réflexes de prédation. En quelques mois,
et alors que le régime se débattait dans des crises qu’il était incapable de
diagnostiquer, des milliards et des milliards furent engloutis. La crise
s’intensifia. Et avec elle la nécessité de mettre fin à un pouvoir qui risquait
d’entraîner la Mauritanie avec lui dans sa chute. Ce fut le 3 août 2005.
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