Du
temps de feu Moktar Ould Daddah, l’opposition à son régime avait pu épouser les
lignes de fracture entre un axe «conservateur» et «traditionnaliste»,
et un autre «révolutionnaire» et «progressiste»… Tous ces
qualificatifs sont produits par l’idéologie dominante de l’époque qui a imposé
cette terminologie pour décrire le(s) mouvement(s) de jeunes contestataires
dans leur dynamique d’opposition à «une vieille garde» composée pour
l’essentiel de notables et fils de notables formés à l’école coloniale. Un «conflit
de génération» avorté et dont on a encore besoin pour asseoir une
Mauritanie en rupture avec les vieilles pratiques.
Dans
sa revendication culturelle (arabisation du système éducatif), ou économique
(nationalisation des richesses), ou encore politique (révision des accords de
défense avec la France et sortie du giron français), cette opposition a été cependant
structurée autour d’un discours définissant des objectifs et des orientations
claires.
Pendant
la première période militaire, celle de Ould Haidalla notamment, l’opposition
entre une aile du pouvoir qui veut ancrer la Mauritanie dans une dynamique qui
commence par l’application (abusive) de la Chari’a et finit par l’embrigadement
des jeunes dans les Structures d’éducation de masses (SEM) en passant par la
remise en cause des fondamentaux stratégiques de la Mauritanie (opposition
virulente au Maroc qui se traduit par la confrontation voulue et par la
proximité avec le Polisario). C’est bien ce positionnement qui a ses
soubassements idéologiques, qui a déterminé la ligne de fracture entre le
pouvoir militaire de cette période et son opposition.
Du
temps de Ould Taya, deux périodes sont à distinguer. La première est celle qui
le voit contesté par les groupuscules politiques l’un après l’autre. C’est la
période où le régime se cherche «idéologiquement» avant de verser, par
carence d’idées, dans l’option raciste dont il va user et abuser. Si bien que
la ligne de fracture est bien celle qui épouse l’appartenance ethnique…
Jusqu’en 1991 (fin)… quand la libéralisation politique est décidée et que les
partis naissent.
Nous
allons avoir une courte transition où la ligne de fracture, celle qui permet de
distinguer entre le pouvoir et son opposition et qui donne à cette dernière sa
sève nourricière, est bien celle du changement. La rupture avec le passé est
une revendication partagée. Si partagée que le Président sortant choisit comme
slogan de campagne : «le changement dans la stabilité». C’était
seulement le temps d’une courte transition…
A
partir de sa stabilisation, le pouvoir retrouve ses vieux réflexes de «diviseur».
Il réussit à établir de multiples confrontations qui affaiblissent ses
opposants qu’incarne à l’époque Ahmed Ould Daddah, principal challenger de Ould
Taya lors de l’élection de janvier 1992. En plus du clivage ethnique, le PRDS
nourrit une opposition (sans fondement réel) entre l’Est et le Sud (Echarg/El
Guibla). Les lignes de fractures sont grossièrement celles-là, même si parmi
les soutiens de Ould Taya, on compte une majorité de l’élite originaire du Sud.
De
tous temps donc, la ligne de démarcation entre l’opposition et le pouvoir en
Mauritanie a été claire plus ou moins. Avec de temps en temps des fondements
idéologiques qui la rendent saine, visible et lisible. Mais qu’en est-il
aujourd’hui ?
Quelle
est la ligne de démarcation entre Ould Abdel Aziz et son opposition ? Où
se situe la ligne de fracture entre les deux protagonistes ?
Nous
allons évacuer les raisons idéologiques pour une justification simple :
aucun positionnement actuel n’est dicté par un facteur idéologique, aucun parti
ne tire son approche d’un fondement idéologique qui lui dicte de travailler
pour un projet de société plutôt que pour un autre, aucun leader ne respecte
une ligne de conduite qui impose à l‘observateur de prendre en compte ses
inspirations idéologiques.
Faisons
de même avec les cursus qui auraient pu dicter une conduite rigide plutôt que
molle (ou vice-versa). Le parcours chaotique de tout le monde aurait pu mener
n’importe où, y compris au positionnement illisible actuel. Alors ?
Nous
restera la raison du cœur, celle que la Raison ignore : la haine… nourrie
par la rancune. C’est seulement elle qui explique la violence verbale, les
dérives et les dérèglements de notre monde politique.
Quand
ils ont énuméré les griefs qu’ils retiennent contre Ould Abdel Aziz, ses
détracteurs ne peuvent s’empêcher de citer «ses coups d’Etat répétés». Et
de renchérir, comme s’il s’agissait d’un crime qu’ils ont toujours dénoncé, «le
coup d’Etat du 3 août 2005, celui du 6 août 2008 contre un Président élu».
Dans
le premier cas, personne ne semblait regretter un régime incapable de bien pour
ce pays dont il a accéléré le sac en corrompant son élite, en divisant son
peuple et en y cultivant un système de contre-valeurs qui nous handicapera
encore longtemps.
Le
coup d’Etat du 6 août 2008 est une entreprise collective : entre ceux des
politiques qui l’ont préparé, accompagné et béni, et ceux qui lui ont créé les
conditions objectives de légitimation, les militaires n’ont été qu’un
instrument, tout comme le Président élu qui n’a pas pu éviter la suite des évènements.
En
tout état de cause quand on voit les opposants d’aujourd’hui, les plus
visibles, les plus entreprenants parmi eux, ceux qui ont finalement «noyé»
le canal historique opposant, on est surpris de voir qu’il s’agit, grosso modo,
de ceux qui ont perdu le pouvoir en 2005 ou de ceux qui l’ont perdu en 2008. On
ne peut s’empêcher alors de se dire que la rancune est la mère nourricière des
antagonismes politiques auxquels nous assistons. On comprend alors l’aigreur et
la verve… seulement… seulement…
…Victor
Hugo a dit quelque part : «la rancune est une dépense improductive».
On comprend alors pourquoi toutes les gesticulations ne donnent rien. Parce
qu’elles n’arrivent pas à être l’expression d’un projet réalisable et porteur
et qu’elles restent du domaine de l’irraisonné et de l’épidermique.
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