Il
serait né vers 1096 et mort vers 1166 de l’Hégire (mort en 1753), équivalent à
peu près à une vie de 70 ans. Une vie bien remplie pour celui qui finira par
être l’idéologue de Sharr Bubba, la guerre qui opposa les Zawayas, populations
autochtones, et les Bani Hassane, arabes conquérants et qui a fini par asseoir la
société Hassane : avec la domination d’un dialecte dérivé de l’Arabe, le
Hassaniya ; la structure sociale avec ses stratifications qui subsistent
encore ; la reconnaissance aux Zawayas (Marabouts) de leur rôle de lettrés
ayant en charge la conservation du patrimoine écrit et aux Arabes guerriers
leur statut de détenteurs du pouvoir politique.
Pourtant
Muhammad al Yadaly est né dix ans après la fin de cette guerre qui a ravagé
tout le sud-ouest mauritanien actuel (Guebla, équivalent aux Trarza et Brakna).
N’empêche qu’il sera l’historien de l’époque, le sociologue et l’idéologue qui
essayera de retourner la loi des vainqueurs.
Ayant
vécu dans un milieu encore fortement marqué par la défaite des autochtones, ce
fut là son inspiration fondamentale. Il tira son énergie de sa volonté d’inverser
les rôles en faisant du vaincu un vainqueur, du moins un héros. Une multitude d’ouvrages
qui traduisent deux constances chez Muhammad al Yadaly :
- La première est sa volonté de (re)manier l’Histoire
pour limiter les effets de la loi du vainqueur. Ce qu’il réussit parce qu’il
imposera un modèle moral du Marabout qui finira par déterminer l’échelle
des valeurs sur cette terre où les conquérants tentaient d’imposer la loi
du plus fort. Deux ouvrages sont des fondamentaux dans cette approche :
«Shiyam Ezzawaya» (valeurs des
Marabouts) qui raconte comment s’est constitué le «Pacte des Tashoumsha» et sur quelles bases. Un peu le mythe
fondateur d’une coalition de tribus qui auraient été liées par un acte
solennel d’alliance autour de principes qui sont là pour s’imposer à
chacun et à tous. Ce qui donnera le concept de «tshomshi» qui traduira plus tard en «tgeydi» puis en «eddeymine».
On parle du premier quand on veut limiter le Code de conduite (et d’étique)
à une zone géographique, l’Iguidi (région géographique qui s’étend à peu
près de Mederdra au sud, à Sbeykhaat au nord). Du second quand on fait
référence à la tribu des Awlad Deymane qui est l’une des cinq
constituantes des Tashoumsha.
Son deuxième ouvrage
qui se trouve être l’un des fondements idéologique de la «conscience maraboutique» est celui où il essaie de raconter l’épopée
de l’Imam Nacer Eddine, ce chef Zawaya qui dirigea la résistance aux conquérants
Hassane. «Emr el Weli Nacer Eddine»
entretient la mythologie autour d’un devenir humain qui est celui de Nacer
Eddine.
- La deuxième constance chez Muhammad al Yadaly,
est l’expression d’un génie inégalé. Ce qui se traduit dans son ouvrage
explicatif du Coran : «Edheheb
il ibriiz vii tavsiiri Kitaab Llaah el ‘Aziiz», titre qui traduit la
fierté de l’homme de savoir(s) qui semble, avec ce choix, atteint l’accomplissement
de son être. Les Exégètes considèrent ce livre comme l’un des fondamentaux
dans l’explication du texte coranique de base. Il est en tout cas le
premier ouvrage écrit dans cette région du monde.
Mais son poème «çalaatu Rabbi», dédié à la gloire du
Prophète Mohammad (PSL) reste sa plus grande œuvre, celle qui confirme la
dimension mystique incommensurable de Muhammad al Yadaly. On raconte qu’il
avait été enchanté d’entendre un griot de l’époque chanter son Emir (un Brakna)
au terme d’une Theydina (poème épique) composé dans une métrique hassaniya compliquée
(hath’wu ijraad). Défiant la réglementation traditionnelle de la poésie arabe
classique, Muhammad al Yadaly composa un poème à la gloire du Prophète (PSL) selon
la rythmique Bidhane, mais qui correspond quand même à une altération du mode «al bassiit» dans la poésie classique.
Un acte de résistance
qui dit combien semble vain pour Muhammad al Yadaly toutes les chansons
composées à la gloire des héros Hassane. Gloire à laquelle il oppose ici celle
du Prophète Mohammad (PSL). Un coup fourré qui amuse encore dans ces contrées.
En conclusion, on peut
dire que Muhammad al Yadaly reste l’un des grands historiens, l’un des
fondateurs de ce que certains historiens des Temps Modernes appellent «le temps des Marabouts» et qui a marqué
les 17ème et 18ème siècles de l’espace
sénégalo-mauritanien. L’un de ces historiens écrit : «L’impact de Sharr Bubba se prolonge bien au-delà du XVIIème siècle,
grâce, en particulier, à ses interprètes. Les écrivains, zawaya eux-mêmes, à commencer
par un érudit du milieu du XVIIIème siècle nommé Muhammad al Yadaly, gardèrent
vivante la tradition» (David Robinson in «Sociétés musulmanes et pouvoir colonial au Sénégal et en Mauritanie»).
Tout ça pour vous dire que le passage dans la région
de Tendegsemi, en allant vers Lemnaher, peut vous fait fatalement passer
par N’twfekt, là où gît cet éminent érudit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire