Mohamed Abdallahi Wul Al Çediq
n’est plus depuis ce matin. Je l’ai appris par Shaykh Ahmed Mezid Wul Abdel
Haq, l’une de ces sommités du savoir islamique de chez nous. Il savait tout le
respect que je vouais pour l’homme. Il n’y a pas longtemps, je lui demandais de
m’accompagner pour le voir chez lui après tant d’années.
C’est que Wul Al Çediq a enseigné
au collège de garçons de Nouakchott, la classe où j’étais entre 73 et 75. Il
enseignait l’Instruction morale, civique et religieuse (IMCR), une matière qui
faisait son introduction dans le système éducatif mauritanien, après avoir été
réhabilitée comme enseignement originel. Cette réhabilitation participait à
l’option «indépendance culturelle», axe essentiel de la fameuse trilogie de
l’époque (indépendance politique avec la
révision des accords avec la France, indépendance économique avec la
nationalisation des ressources et indépendance culturelle avec l’arabisation et
l’introduction des sciences religieuses dans le système éducatif).
La matière était détestée par les
élèves qui y voyaient une exigence de plus d’efforts. En plus du mépris qu’on
affichait à l’époque à tout ce qui était mauritanien, la mauritanisation du
corps enseignant étant en cours, les élèves avaient plutôt tendance à déprécier
l’enseignant mauritanien. Une attitude idiote certes mais qui expliquait
largement les difficultés que devaient affronter les pionniers comme Shaykh
Mohamed Abdallahi Wul Al Çediq, mais aussi d’autres qui ont eu à enseigner en
ces moments-là et auxquels je rends hommage ici : Kane N’Diawar, Mohamed
Ould Messaoud, Khadi Mint Cheikhna, El Bou Wul Awfa et j’en passe. A travers
eux, c’est toute une génération d’enseignants qui ont participé à la formation
de générations entières et à la mise en œuvre d’une politique éducative qui a
donné un moule, un creuset… à l’époque…
Wul Al Çediq fait partie de ces gens-là qui
ont énormément apporté à la Mauritanie et aux Mauritaniens, toutes générations
confondues. Je garderai cette transcription du nom qui donne la dimension «vérité» (al çedq) à son nom. Une
valeur qu’il voulait cultiver chez nous en nous obligeant à dénoncer nous-mêmes
quand quelqu’un perturbait le cours. Il ne demandait jamais aux élèves de
dénoncer le fauteur mais faisait en sorte que celui-ci se fasse connaitre
lui-même. Et comme cela n’était suivi d’aucune sanction méchante, le fauteur
finissait toujours par culpabiliser et par se retirer du groupe des
perturbateurs. Le dernier acte de sabotage dans la classe fut l’œuvre du plus
méchant d’entre nous, celui qui trouva malin de tordre l’un des pieds du siège
sur lequel s’asseyait le professeur. La chute produite ne fit rire personne. Et
contrairement à l’éclat de rire attendu, ce fut une sourde désapprobation.
Depuis ce jour, je ne me souviens pas que l’un des élèves de la classe a tenté
un quelconque coup pour déranger le cours de Wul Al Çediq.
Je le raconte pour dire comment un
être aussi frêle, aussi doux, donnant l’air d’être faible a pu imposer son
ordre, sa carrure, sa loi à des adolescents un peu fous, un peu espiègles, très
insouciants et peu responsables. Sans faire intervenir l’administration, sans
jamais punir, au bout de quelques semaines, il réussissait là où tous les
autres enseignants avaient échoué : son cours était suivi par l’ensemble
des élèves qui lui vouaient un respect évident.
Le savoir de Wul Al Çediq était
communiqué sans grands efforts parce qu’il venait de tout près. Il n’avait pas
besoin de le maniérer pour le compliquer, il coulait à flots. Sans laisser son
jeune auditoire au bord de la route. Il rapprochait les choses en nous
taquinant sur nos origines sans jamais offenser, sur le «riz sec» que les uns
ont mangé aujourd’hui, le «’aysh» que les autres ont mangé la veille.
Les leçons qu’il prodiguait n’étaient
jamais oubliées quand elles sont assimilées. Et pour l’élève que je suis, plus
de quarante ans après, j’ai toujours en mémoire trois choses de lui :
- La diction que je n’ai retrouvée nulle
part ailleurs que chez les grands érudits de notre espace, une diction qui
se perd avec les disparitions successives d’éminences comme Wul Addoud,
Wul Bouçayri… Rappelez-vous ces voix et la manière de prononcer les mots,
les intonations, les accents… uniques pour chacun… mais avec un fonds
commun et c’est ce fond commun qui disparait sous les coups de la mondialisation.
- La calligraphie :
Wul Al Çediq avait certainement un don extraordinaire, celui d’aligner les
textes sur le tableau avec une rigueur extraordinaire et une beauté tout
aussi pareille. De bout en bout sur le tableau. On hésitait parfois à
effacer le tableau après un cours de Wul Al Çediq ; tellement c’était
beau à voir…
- La simplicité
qui dicte le respect. Pas besoin de muscles, pas besoin d’apparat pour se
faire respecter. Dans la cour ou dans la classe, sa seule apparition
faisait baisser les voix en disciplinant un espace fait de folies et d’insouciances…
… Je rends hommage ici à cet
enseignant qui a finalement été l’un des géants du savoir religieux de ces
contrées et dont la notoriété l’a amené à exercer dans le Conseil de l’Iftaa
(fatwa) aux Emirats Arabes Unis. Ce géant a fini sa vie parmi nous, à côté de
nous, en toute humilité, sans jamais nous avoir demandé de le célébrer, de le
consacrer, de lui rendre ce que nous lui devons : une immense
reconnaissance.
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