vendredi 24 février 2012

La cité perdue


Au bout de quelques cinquante kilomètres de piste – renforcée mais difficile à emprunter – de Tiguint, on arrive à Mederdra. L’une des premières cités nées de la colonisation française. Le fort dont il ne reste plus rien depuis que la Mairie a fait construire son «hôtel de ville» sur ses vestiges, ce fort a été construit en 1902. L’école daterait elle de 1908. Elle deviendra plus tard «l’école Folenfant». Des vieilles bâtisses coloniales ne subsistent que cette école justement, appelé un moment «grande école», le château d’eau datant de 1957, les résidences et les bureaux de l’administration, les «maisons blanches» ensevelies par un linceul de sable, cité des gardes et goums supérieurs, le marché réhabilité… Mais des maisons, rien n’a vraiment changé depuis le début des années 60. Même les vieilles portes – déjà vieilles à l’époque – sont restées les mêmes. Il y a un côté «résistance à la mondialisation» et à la «tevraqinisation» (ressembler, par les constructions à Tevrq zeina de Nouakchott), il y a ce côté résistance qui peut plaire. Si l’on oublie le côté délaissement et abandon.
Comme tous les anciens villages, Mederdra a été peu à peu abandonnée par ses habitants. Au début, les uns partaient pour permettre à leurs enfants – particulièrement leurs filles – de continuer le cursus scolaire. Parce qu’il n’y avait ni collège ni lycée jusqu’aux années 90. Un moment, les familles fuyaient la sécheresse par groupes entiers vers des villes plus «accueillantes». Un moment, c’était aussi la «mode» pour les familles aisées de se retrouver à Nouakchott, en train de faire comme les gens des grandes villes.
Dans les années 2000 et grâce à – ou à cause de – la politique PRDS et des concurrences entre membres d’une même famille, d’une même tribu, de différentes tribus…, les «opérateurs politiques» - un terme qui traduit le côté «politique source de revenus» - ont investi la ville. Une grande maison ici, un four ou une boutique là… mais rien qui puisse restaurer le dynamisme d’antan.
C’est triste de voir la maison où habitait feu Hamed Ould Bebbaha – un Erudit inégalable qui faisait office de Cadi et qui incarnait la profondeur du savoir de son milieu, le sens de la mesure Iguidienne, la bonté légendaire des siens… de voir la maison où a longtemps vécu cet homme de Dieu occupée aujourd’hui par «un salon de beauté féminine». Cela en dit long sur l’appréciation que nous avons de nous-mêmes et de notre Histoire. Voir la maison où il entassait ses livres et à l’ombre de laquelle il rendait justice – verdicts irréfutables et n’ayant pas besoin d’être appuyés par la force des gardes, des gendarmes ou des policiers parce que tous se pliaient devant le «crédit moral» du décideur -, voir ce lieu occupé aujourd’hui par une boutique de jouets et un salon de henné, cela fait mal…
Rien en fait de ce qui rappelle le Mederdra d’origine n’est préservé. Au contraire. Vous me direz que c’est le cas partout. Je vous rétorquerai que c’est dommage.

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