Chaque fois que je reviens ici, j’ai l’impression que quelque chose a changé. Sur la route de l’aéroport, les vieux hameaux se sont transformés en grosses villas, signe que le niveau de vie des propriétaires terriens s’est amélioré considérablement. Les villages qui frappaient par la misère de leurs façades sont pour la plupart devenus des quartiers d’habitation à étages. L’autoroute Casa-Rabat est en phase d’élargissement pour permettre trois files dans chaque direction. On peut désormais entrer à Rabat sans avoir à souffrir les embouteillages causés par le goulot d’étranglement que constituait l’entrée principale. Elle peut désormais être contournée par Hay Ryad.
Les rues de la capitale sont propres et soignées. Palmiers, fleurs et autres plantes sont bien tenus. Je ne peux m’empêcher ici de penser aux pauvres palmiers plantés il y a quelques années sur l’une des avenues de Tevraq Zeina et morts de soif depuis. Leurs carcasses, toujours debout malgré le mauvais traitement subi, défient encore l’adversité. Debout comme ils sont, ces palmiers rappellent à ceux d’entre nous qui ont encore le temps – et la possibilité – de méditer, la vanité de nos actes. Quand ils ont été plantés là, cela s’est accompagné d’une grande opération de communication. Quelques années plus tard, ces palmiers meurent en silence, dans l’indifférence des habitants du quartier et des responsables municipaux. On nous dit pourtant que la municipalité de Nouakchott a des milliards dans ses comptes…
Revenons à Rabat… Ici, le poids de la jeunesse est évident. Quand nous arrivons à la MAP pour prendre nos badges, nous trouvons devant nous une bonne centaine de jeunes journalistes. Sauf les étrangers parmi eux, aucun ne semble avoir dépassé la trentaine. Dans les rues, à l’hôtel, dans la mosquée où nous prions… partout, c’est la jeunesse qui frappe. Une jeunesse qui semble s’accomplir, s’assumer.
En fin d’après-midi sur le boulevard Mohamed V, c’est l’effervescence. Des groupes de jeunes passent. Portraits du Roi Mohamed VI à l’appui, ils chantent : «malikouna wahid, Mohammad Essadiss» (notre Roi est unique, Mohamed VI), «Shaa’b yaqul, na’am lidoustour» (le peuple dit, oui à la Constitution). Un autre groupe descend le boulevard et distribue des papiers. Je reconnais quelques anciens militants de l’extrême gauche marocaine. Ils mènent campagne contre la Constitution à coup de : "hadah doustour eshafara, bghayna doustour el fouqara" (c'est la constitution des voleurs, nous voulons celle des pauvres). Mais au lieu de demander de voter non, ils prônent le boycott. C’est facile dans un pays où déjà on se plaint de la désaffection par le citoyen du fait politique. D’autres partis descendent le boulevard, appelant à voter oui à cette Constitution. On sent la vie ici. On sent le débat, la diversité des idées et des visions. C’est qu’ici il y a déjà un système politique qui a donné des traditions d’engagement et de constance dans l’engagement. C’est une classe politique qui a souffert pour ses convictions, pour ses visions.
Là encore, je ne peux que penser un moment à mon pays, à ce qui s’y passe. A l’impossibilité d’instaurer un dialogue. Pas parce que les protagonistes refusent la perspective, mais parce qu’il n’y a pas de tradition de débat. La relation politique est si personnalisée qu’elle ne peut ouvrir sur un échange d’idées (lesquelles d’ailleurs ?). ce qui explique la fuite en avant des uns et des autres, avec notamment la mise en avant de préalables et/ou de conditions qu’on sait à l’avance irrecevable par le vis-à-vis, c’est bien l’absence d’une tradition de débats et l’incapacité à incarner et à accepter la diversité qui bloque. C’est aussi l’absence de vision pour le pays.
Je pense à tout ça et je me demande si finalement, le pays ne ressemble pas à ces palmiers que nous avons plantés là en grande pompe, avec promesses de les entourer de tous les soins, et que nous avons très tôt oubliés…
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