Rien
absolument ne pouvait prévoir cette alliance entre le mouvement de résurgence
abolitionniste Mauritanie dirigé par Biram Ould Dah Ould Abeid et Sawab que
dirige Abdessalam Ould Horma. Même s’il existe des antécédents entre les deux
idéologies qui nourrissent les deux formations. Même si chacune des
organisations y trouve son compte.
C’est
en grande pompe, que Sawab et IRA-Mauritanie ont annoncé jeudi dernier leur
alliance politique. Officiellement, il s’agit d’un «partenariat» qui permet aux
deux formations d’aborder les élections à venir : les Législatives,
municipales et régionales de 2018, puis la présidentielle de 2019. C’est le
seul acte politique «tactique» visible sur la scène actuelle. Les autres
acteurs semblent s’accrocher aux vieux schémas, comptant plus sur la
persistance du clivage Pouvoir-Opposition traditionnel qui a jusqu’ici animé
cette scène et qui n’aura plus sa signification dans quelques semaines voire
quelques jours.
Bienvenue
au Sawab
«Au
nom du parti Sawab, nous souhaitons la bienvenue parmi nous à ce grand leader
Biram Ould Dah Ould Abeid. Avec lui, poursuit Ould Horma, nous nous engageons
dans une bataille commune contre l’injustice et l’exclusion et pour une
Mauritanie plus démocratique et plus solidaire. Avec Biram, nous œuvrerons à la
consolidation de l’unité nationale».
De
son côté, Biram Ould Dah Ould Abeid a promis, dans son mot d’introduction, de
«nouer d’autres convergences avec d’autres formations politiques, à chaque fois
qu’il deviendrait possible de consolider la dynamique de progrès pour la
Mauritanie émancipée du populisme, du racisme, du fanatisme religieux».
Appelant les militants présents «contre la coalition de la régression et du
déni, avançons en rangs serrés».
C’est
donc Sawab qui reçoit. Le parti légalement constitué ouvre les bras à
l’organisation «non reconnue» et jusque-là combattue par les autorités. D’aucuns
ont oublié que les Baath ont été les premiers parmi les courants nationalistes
à tenter de prendre en charge le mouvement d’émancipation haratine. Quand, à la
fin des années 70 et au début des années 80, ils réussissent à copter une
partie de la direction historique du mouvement El Horr. A l’époque, toute une
aile avait basculé dans le rang du parti Baath (Sghaïr Ould Mbarek, feu Mohamed
Ould Haïmer…).
Sawab
est un parti qui a la particularité d’être plutôt populaire dans la communauté
arabe de Mauritanie sans jamais traduire cela sur le terrain. Sawab n’a jamais
eu un député, un sénateur ou un maire. Le nom du parti annonce plutôt la
pondération et la mesure dans le discours et les méthodes. En fait, ce parti
est venu pour faire oublier les déboires de l’Avant-garde, son ancêtre, plutôt
sulfureuse.
Il
a appartenu à la partie de l’opposition qui a choisi de continuer le dialogue
avec le pouvoir en 2011 et de refuser l’option du dégagisme. A ce titre, il a
cofondé la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) avec l’APP et Al Wiam.
Qu’il a quittée sans préalables mais sans pour autant rejoindre le Forum
national pour la démocratie et l’unité. Les deux dernières années, Sawab a fait
cavalier seul, organisant des meetings plus incisifs, plus critiques que dans
le passé.
Parce
que, comme tout parti mauritanien issu d’un groupuscule politique déterminé, il
a dû manœuvrer pour ne pas entrer en conflit ouvert avec la direction
historique et les dignitaires emblématiques du mouvement dont il se revendique.
Unis
pour le meilleur…
De
son côté, IRA-Mauritanie est une organisation née du parcours d’un homme, Biram
Ould Dah Ould Abeid qui l’a lancée il y a de cela dix ans. Virulence,
détermination, engagement physique, extravagance de la démarche, excès de
langage… ont caractérisé la méthode Biram jusqu’à présent.
De
militant anti-esclavagiste, Biram Ould Dah Ould Abeid est vite passé à leader
politique. Il atteint le summum quand il se présente à la présidentielle de
2014. Il arrive deuxième avec plus de 8% des voix exprimées et devient un homme
politique par excellence.
Les
emprisonnements et la virulence du discours lui valent un fort soutien dans les
milieux «exclus du système», particulièrement chez les activistes de la
communauté noire qui voient en l’homme et en son organisation un cheval de
bataille contre la communauté arabe.
Le
plus grand soutien de Ould Abeid lui vient de l’extérieur. Plusieurs prix
consacrent une reconnaissance internationale sans précédent. Si bien qu’il est
aujourd’hui l’incontestable symbole de la lutte anti-esclavagiste et pour les
droits en général en Mauritanie.
Il
y a quelques années, il a essayé de lancer un parti politique mais les
autorités ont refusé de le reconnaitre. C’est justement cette hostilité de
l’Appareil qui le sert le mieux, le présentant comme une véritable victime d’un
système que lui qualifie de «raciste et d’esclavagiste».
Quand
il revient d’un long périple en Europe et en Amérique, il annonce dès 2017 sa
volonté de briguer la Magistrature suprême à l’occasion de la présidentielle de
2019. Il entend ainsi prendre les devants face à une opposition qui a perdu le
fil de son combat et qui refuse de penser à cet avenir pourtant proche.
Le
calcul est simple : devant l’absence des figures emblématiques désormais
écartées pour raison de limite d’âge, l’opposition actuelle est condamnée à
fédérer autour d’un candidat unique. Qui, mieux que Biram Ould Dah Ould Abeid,
peut prétendre à la légitimité d’être ce candidat ?
C’est
ainsi qu’il se lance dans une série de rencontres pour ratisser large et
surtout pour normaliser ses relations avec tous les acteurs. Lui qui n’a pas
manqué de s’attaquer à tous, souvent sans hésiter à piocher dans le vocabulaire
le plus grossier. Il réussit à impulser le regroupement du G8 qui a été pensé
pour faire converger toutes les forces opposantes.
Il
a été question une première fois d’accord avec l’UFP, puis d’autres formations,
avant que l’information ne tombe. D’abord sous la forme d’une adresse faite par
Biram Ould Abeid à travers les réseaux sociaux et essentiellement adressée à la
diaspora des militants. Ensuite avec cette annonce solennelle faite devant quelques
dizaines de militants rassemblés dans la maison des jeunes.
Le
pire à venir ?
Le
premier objectif de Ould Abeid est bien sûr de trouver un cadre légal qui peut
lui servir pour aller à la conquête des sièges au cours des élections futures.
Le mélange ainsi réalisé aura certainement sa part.
Il
faut rappeler ici que sur les 155 députés de la future Assemblée, 88 seront
élus à la proportionnelle, ce qui ouvre de grandes chances aux partis
d’opposition.
Mais
les risques pour IRA et pour Biram Ould Abeid sont grands. D’abord celui
d’abandonner la virulence qui a été son point fort. Quand il dénonce le
populisme, c’est effectivement l’annonce d’un revirement dans le discours. Il
est difficile pour ses soutiens actuels de s’accommoder de cette nouvelle alliance.
Une
lecture – fallacieuse il est vrai – des événements de 1989 a toujours fait
porter au parti Baath de Mauritanie la responsabilité des malheurs qui s’en est
suivi. Les militants nationalistes noirs, même les plus pondérés parmi eux, ont
toujours développé un discours anti-baath. Il sera difficile pour eux de faire
comme si rien ne s’était passé.
D’autant
plus que l’expérience de Messaoud Ould Boulkheir et de Action pour le
Changement est toujours présente dans les esprits.
Quand,
au milieu des années 2000, les nationalistes arabes – cette fois-ci les
Nassériens – ont réussi leur OPA sur le puissant leader haratine de l’époque,
Messaoud Ould Boulkheir. L’arrachant aux activistes noirs qui l’encadraient et
l’intégrant dans un parti nationaliste, Alliance populaire progressiste (APP).
La
seconde alliance qui risque de sauter à l’occasion de ce partenariat, est celle
des courants dits «droits-de-l’hommistes» occidentaux, souvent sous influences
diverses et dont l’objectif est d’abord de déstabiliser les sociétés arabes en
cassant des pays où la diversité peut être source de divisions.
Pourtant
IRA-Mauritanie se justifie : «Dispersés
et parfois inaudibles, nous gagnions certes la bataille de la persuasion parmi
les nôtres et auprès des nations libres mais demeurions bâillonnés, chez nous,
au seuil des collectivités locales et du Parlement. Aujourd’hui, la leçon enfin
apprise, il nous appartient de la traduire, en conquête de sièges, sur le
terrain de la compétition dans les urnes.»
Est-ce suffisant pour faire adhérer la multitude
de soutiens à ce qui n’est déjà pas un mariage de raison ?
MFO
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