mardi 26 août 2014

L’adieu à Kobenni

Nous quittons nos amis de Kobenni ce matin. Quitter cette famille des Barameks est un moment d’effusions difficiles à supporter. Les moments d’adieux sont toujours difficiles… Nous aurons vécu une dizaine de jours de repos complet : pas de télévision, pas d’internet et rarement le téléphone. Loin de nous le vacarme de la ville, la cacophonie des querelles politiques stériles, les peurs de Ebola, les images terrifiantes de Gaza, d’Irak, de Syrie, de Libye et d’ailleurs. Des moments de plénitude partagée avec ceux qu’on aime (et qui nous le rendent bien), de liberté aussi et de ressourcement.
Merci à Khadar, Bennahi et aux enfants, à Brahim, à Wul Bobbi, Melaïnine et à tous ceux qui nous ont entourés avec chaleur pour rendre plus agréable le séjour dans ce morceau magique de la Mauritanie secrète, celle qui n’apparait pas dans les propos de nos discoureurs excités, de nos activistes fous de rage, de nos militants enfermés dans leurs coquilles (vides)… Une Mauritanie, certes affectée par les aléas de la nature, certes quelque peu érodée par la mal-gouvernance qui a donné le Kobenni de 1992 liant le nom à la fraude et à la manipulation, mais une Mauritanie qui a résisté aux assauts des courants racistes dévastateurs, aux tentations et aux dérives égoïstes et sectaires, à la déliquescence morale, une Mauritanie qui est restée elle-même malgré les agressions. Une terre de rencontre et de convergence, de mixité et de pluralité, une terre de labeur et d’humilité…
La veille, pour une dernière sortie dans la région, on s’était rendu à Modibougou. C’était jour de marché dans ce gros bourg de la frontière (çoug de dimanche). Les filles ont beaucoup entendu parler du village : l’une de ses ressortissantes a travaillé chez nous pendant quelques années. Mais elles imaginaient que la route qui y menait était goudronnée (asphaltée). Les filles s’attendaient à trouver une ville au bout de la route longue d’une quarantaine de kilomètres. Rien de tout ça.
Une route chaotique qui avait été une fois aménagée, très sommairement d’ailleurs. Les ouvrages destinés initialement à faciliter le passage sont devenus obstacles, tellement ils sont mal faits et mal entretenus. La route parait désormais dangereuse, surtout quand il y a la pluie.
On arrive dans le petit village sans s’en rendre compte parce qu’on estime être entré dans un énième village de la zone (qui est parsemée de villages, les tribus voulant chacune marquer son territoire). Les maisons en banco portent les stigmates du temps qui passe sans laisser de trace autre que celles du vieillissement et de la décrépitude. L’érosion de l’habitat est reflétée par les visages ridés précocement. La profondeur des rides leur donne l’aspect de ravins creusés par les gouttes de sueur qui tracent des chemins dans les visages restés, pourtant, pleins de vie. Les stigmates du labeur et du temps (qui ne passe pas cette fois-ci) n’ont rien entamé de la bonté de ces visages qui puent la dignité et la généreuse humanité.
L’habitant ici ne doit rien à personne. Il s’assume entièrement. Sa foi en lui-même est plus évidente. Son refus d’abdiquer devant les assauts conjugués de la mondialisation s’en trouve renforcé.
Les petites citadines que sont les filles de la génération facebook, sont subjuguées par cette force tranquille, par ce bonheur évident de vivre sur ces terres, loin de tout… comme si ne pas avoir internet, ne pas pouvoir acheter les recettes de la malbouffe, ne pas savoir quelles sont les dernières variations de muftila ou les derniers épisodes de feuilletons turcs, comme si ne pas vivre à Nouakchott relevait du miracle.
Le problème des générations mauritaniennes futures, ce sera bien celui-là : ne pas pouvoir concevoir la vie sans les artifices de la ville, les mensonges de la ville, les extravagances de la ville, ses excès, ses dérives, ses aliénations… Le problème aujourd’hui, c’est que la Mauritanie telle qu’elle a été, telle qu’elle est encore dans ces coins, cette Mauritanie-là est insoupçonnable pour les générations qui s’apprêtent à prendre la relève.
Il est temps de penser à instaurer un service national qui permettrait à nos enfants de découvrir le pays profond, de les préparer à mieux servir ses populations, de traiter ces populations avec plus d’équité et moins de condescendance, de parler la langue et d’adopter la culture de ces populations. Imposer à chaque fin de cycle universitaire deux ans de service volontaire dans un coin reculé, loin de chez soi pour mieux connaitre les autres, en contrepartie d’une distinction particulière, d’une compensation financière symbolique, d’un privilège pour le recrutement…
Une chose à faire d’urgence dans ce cadre : interdire aux fonctionnaires et agents, surtout de la sécurité publique de travailler chez eux pendant les quinze premières années de leurs carrières. Il est affligeant de voir que la majorité des policiers travaillant dans un département quelconque du pays sont originaires de ce département. Comment un policier va-t-il renseigner correctement sur les activités illicites des siens ? comment un enseignant va-t-il exercer sans arrière-pensée ? comment un juge va-t-il rendre sa décision impartialement alors qu’il concerné par tous les conflits ? Il faut trouver une solution définitive à ce problème qui peut fonder une partition le moment venu et qui, en attendant, entrave l’action impartiale de l’Etat et affecte son image auprès des populations.