Il
n’appartient pas à cette communauté, le plus authentique de cette communauté. Il
est un mélange, comme tous les grands de cet espace ouest-africain dont il est
une parfaite illustration.
Né
saint-louisien en milieu Wolof, Doudou Seck est un Pulaar dont la famille vient
de la région de Boghé. C’est son grand-père, Abdalla Cheikh Seck qui serait le
premier à se faire connaitre par le milieu savant et commercial du N’darr (Saint-Louis)
de l’époque (18-19èmes siècles). Un N’darr foisonnant de richesses et d’échanges
intercommunautaires. Cadi, il est très vite adopté par les locuteurs arabes qui
venaient chercher refuge auprès de ce grand érudit qui parlait parfaitement
leur langue.
Quand
il eut un enfant, il lui donna le prénom de Mokhtar (élu, choisi) et le
surnomma Ibn El Moghdad en souvenir d’un soufi marocain qui avait marqué l’époque
par un passage dans le sud-ouest de ce qui sera la Mauritanie et dont le centre
était N’darr justement. Ce fils aura des enfants qui sont : Souleymane
Seck, Aynina Seck et Doudou Seck. C’est ce dernier qui sera adopté par les
Bidhânes sous le nom de Wul Ibn El Moghdad. C’est lui qui a accompagné es
colons comme interprète, comme guide en territoire saharien.
Nombreux
ceux parmi nous qui, aujourd’hui ne veulent retenir de l’homme que ce côté «collabo».
Je ne suis pas de ceux-là car je trouve qu’il est aisé de faire le procès d’une
époque qui a fini quand même par donner un pays, la Mauritanie, avec une
capitale, des structures étatiques et un ancrage dans la Modernité. On peut
pleurer un passé fortement remanié aujourd’hui, continuer à ruminer ce passé en
nous disant : «comment aurions-nous
été si la colonisation n’avait pas été ?»
Mais
on peut aussi ne pas nous attarder sur ce qui n’a pas été pour voir ce que nous
pouvons retenir de bien de ce qui a été. Ne pas oublier, voire célébrer ce qui
peut l’être…
Nous
sommes à Moudjéria – El Mijriya, selon la prononciation locale - où vit feu
Mohamed Abdallahi Wul Hacen le début d’une carrière administrative qui va en
faire l’un des premiers serviteurs accomplis du futur Etat mauritanien. C’est
un peu un poste créé «pour»
Abderrahmane Wul Sweid’Ahmed, Emir du Tagant, haut lieu de la résistance de l’espace
Idaw’ish. Les Français acceptaient – reconnaissaient même – l’autorité de l’Emir
sur cet espace qui a vu se développer l’une des plus glorieuses pages de la
résistance.
Le
jeune interprète reçoit un message de Wul Ibn El Moghdad, résident à Saint-Louis.
Il lui demande de transmettre un gav – une sorte de quatrain, la plus concise
composition de la poésie bidhâne – à l’Emir Abderrahmane, surnommé Ddaane qui
était justement de passage à Moudjéria.
«lahagli lilli maa tikhtiih
khaçla min khaçlaat ehl il mulk
‘anni taari wunni nibghiih
imeshiili deyra vissilk»
…de
la manière la plus adéquate dans la culture Bidhâne, Doudou Seck demandait à l’Emir,
tout en l’auréolant de tous les attributs du pouvoir (de la propriété), de lui
envoyer une «pincée de tabac» par… le fil (du téléphone de l’époque).
«Je comprends la partie qui concerne ehl el
mulk, il veut me rappeler ma descendance esclave du côté de ma mère. Mais que
veut-il dire par deyra vissilk ?» Les questions de Ddaane doivent
toujours avoir des réponses. L’intelligence fulgurante et légendaire de Wul
Hacen explique : «On pourrait
comprendre qu’il veuille l’argent pour en acheter…» Réplique de l’Emir :
«Prends ton salaire, le mien et celui de
tout ressortissant Idaw’ish et envoie-lui tout». Ce qui fut fait.
La
première rencontre entre l’Emir et Wul Ibn El Moghdad avait donné un échange
mémorable. Malheureusement je n’en récite que les deux premiers gav. Wul Ibn El
Moghdad qui dit, parlant de sa bien-aimée qui le trahissait selon tous ceux qu’il
rencontrait à N’darr :
gaaridh-li vil ‘arraad
haadah ilkhalq innejbar
garidh-li viiha zaad
dhaak erraajil le’war
Certains
disent que Wul Ibn El Moghdad parlait du griot Le’war Wul Ngdhey. En fait, la
tournure était authentique car on dit, en milieu Bidhâne que l’état de charme
est la conséquence d’une dénonciation «satanique», de Satan (Ibliis) qu’on
décrit comme étant un homme borgne. Et pour dire, d’une manière détournée que
vous êtes épris d’une femme, vous associez cela à une «révélation»/«dénonciation»
du «borgne».
On
raconte que dans l’assemblée où le poète a déclamé ce quatrain, se trouvait l’Emir
qui s’était offusqué qu’un «étranger à sa culture» puisse la manier et se l’approprier
aussi adroitement.
nibghi nagbadh lawça
lhaadha zaamil lekwar
ya’melni nukawça
ya’malni nuçandar
Comme
quoi, pour l’Emir, le fait de redresser, à coups de bâton, ce négro vaut bien d’être
mis aux arrêts et d’être discipliné (militairement). Wul Ibn El Moghdad lui
répondra et la joute continuera dans les règles de l’aristocratie de l’époque. J’y
reviendrai un jour, avec probablement les échanges avec ses contemporains. En attendant,
sachez que Doudou Seck est l’auteur de :
yakta’ biik enta ye shaytaan
ma dhaalak ‘ayid-li wahla
shidawr ev-shaybaani sudaan
maa yitmallak zeghba kahla…