Ce qui se passe au Mali était attendu, ou presque. La situation de déliquescence de l’Etat, l’instabilité au nord avec notamment cette guerre larvée que mènent nationalistes de l’Azawad, Jihadistes de l’AQMI (d’Ansar Eddine aussi) et narcotrafiquants dans les deux tiers du pays, ainsi que les surenchères des politiques, tout cela ne pouvait qu’ouvrir sur une dérive. Qui pouvait – qui peut encore - prendre la forme d’une guerre civile ou celle d’une insurrection de l’Armée. C’est finalement cette dernière qui a eu lieu.
Des soldats, un ou deux officiers subalternes – le plus gradé étant un capitaine – ont pris le pouvoir ajoutant à la confusion qui régnait et au chao qui se dessinait. Des avatars du phénomène Dadis Camara de Guinée. Qui n’ont pas de projet, pas de revendication autre que celle d’avoir les conditions de faire la guerre. Et en attendant de les avoir et de repartir vers le champ de bataille, c’est contre la démocratie malienne qu’ils tournent leurs fusils. Rien de plus dangereux qu’une armée défaite sur le champ de bataille et qui se retourne contre les institutions politiques en vigueur.
C’est une fin politique tragique pour Amadou Toumani Touré (ATT) qui, à un moment, a incarné cette Afrique de l’espérance avec des leaders détachés du pouvoir et donc de ses aléas. A force de se contenter de jouer au plus fin, de manœuvrer pour gagner le temps, de laisser son entourage vivre sur les trafics de tout genre, de refuser de faire face aux défis sécuritaires, d’entretenir des relations équivoques avec les organisations du crime organisé qui ont fini par faire main basse sur une partie du territoire du Mali, ATT vit aujourd’hui cet épisode tragique et ce à un mois de son départ. Réfugié en Guinée, il pourra tenter de reconquérir le pouvoir mais avec qui ?
Vu d’ici personne ne semble pleurer son départ. Par contre tout le monde pleure déjà la démocratie malienne. Comment alors sauver cette démocratie ? C’est la question que le personnel politique malien doit se poser en ces jours de doute.
La seule formule qui vaille est celle qui consiste à restaurer l’ordre constitutionnel en désignant un intérim au président avec mission de mettre en place un gouvernement technique chargé de superviser les élections présidentielles prévues initialement le 29 avril prochain. Tout est déjà lancé, y compris la campagne. Rien ne doit s’arrêter. La seule exigence pour les Maliens doit être de sauver la démocratie pour laquelle ils ont sacrifié tant de vies. Parce que là-bas, la démocratie n’a pas été le fait du Prince, mais une conquête politique.
ATT, chef de la junte qui a démis Moussa Traoré à la faveur de manifestations populaires, a quitté le pouvoir parce que la classe politique n’a pas tergiversé et a exigé de lui et des militaires de sortir par la grande porte. Le gouvernement civil de Alpha Oumar Konaré qui a fait deux mandats, devait travailler pour raffermir les fondements de cette démocratie. C’est son premier passage qui devra permettre à ATT de revenir au pouvoir par les urnes. Deux mandats l’ont finalement usé. Mais il ne doit pas emporter avec lui un système démocratique qui a atteint un degré de maturité envié en Afrique : avec notamment la possibilité d’alternance pacifique au pouvoir.
En Guinée, le régime dictatorial avait détruit la scène politique empêchant tout développement d’une classe politique démocratique forte de son ancrage populaire et de ses pratiques. Au Mali, nous sommes en présence d’une classe politique qui a fait ses preuves et d’une société civile très forte. Aussi d’une société qui vit et pratique la démocratie. C’est pourquoi, le Dadis nouveau ne doit pas rester une heure de plus.