jeudi 26 décembre 2013

L’heure des comptes

Est-ce que l’heure des comptes a sonné pour les politiques ? Certainement. Il est temps pour eux de faire le bilan au niveau de chaque groupe de partis, de chaque parti, pour évaluer l’impact des choix faits à l’occasion des élections. En attendant les conclusions «officielles» des partis qui ne finissent pas de digérer l’après-élections, nous sommes en droit de faire les nôtres.
Au niveau de la Majorité présidentielle, on a vu l’Union pour la République (UPR) acquérir une majorité des sièges de l’Assemblée et une grande partie des mairies du pays. Ce qui confirme son statut de leadership au sein de ce groupe. C’est une performance quand on sait que ce parti a souffert des attaques de tout le monde : les partis concurrents de l’Opposition, ses choix, ses militants, ses cadres, son gouvernement… Son président, Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine doit être aux anges, lui dont le calme froid inquiète dans les rangs de son parti. Il n’est pas nécessaire pour le parti de chercher des alliances pour former un nouveau gouvernement ou pour faire passer des lois. Aucun parti de la Majorité ne lui impose désormais ses désirs.
Toujours au niveau de cette Majorité, quelques petits partis-satellites de l’UPR réussissent à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas du Sursaut de la Jeunesse dont la promotion a été facilitée par la nomination de sa présidente au poste de ministre quelques semaines avant les élections, et «l’orientation» de certains «mécontents» vers ce parti. Ce qui a permis à des ministres, membres des instances dirigeantes de l’UPR de le soutenir contre les listes de leur parti. Idem pour Al Karama qui lui aussi s’impose comme interlocuteur dans la nouvelle configuration sortie des urnes. Reste à savoir comment vont se comporter les élus de ces deux partis : vont-ils s’autonomiser et commettre un parricide en allant contre la volonté de l’UPR qu’ils ont combattu pendant les élections ? On verra…
Au niveau de ce qu’on appelle «l’Opposition participationniste», Al Wiam sort grand vainqueur parce qu’il occupe la première place sur cet échiquier. Son président, Boydiel Ould Hoummoid garde une marge de manœuvre : il peut négocier un ralliement à la Majorité présidentielle comme il peut revendiquer la deuxième place au sein de l’Institution de l’Opposition et attendre tranquillement l’élection présidentielle pour être plus sûr. Le fait de se trouver codirigeant de l’Institution de l’Opposition est déjà une victoire pour celui qui n’a jamais renié le régime de Ould Taya auquel il a appartenu. Le sens de la loyauté est pour beaucoup dans sa réussite.
L’Alliance populaire progressiste (APP) est dans une mauvaise passe. Son président Messaoud Ould Boulkheir ne peut plus occuper le poste de président de l’Assemblée nationale. Il sera mal à l’aise dans une Institution de l’Opposition où il ne sera ni le président ni le secrétaire général. Peut-il se contenter d’un rôle de second plan ? Difficile. L’homme est un battant habitué à jouer dans l’avant-garde. Durant les cinq dernières années, il a été une pièce maitresse dans l’évolution politique du pays : en 2007, son soutien a été déterminant pour le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi en contrepartie de la présidence de l’Assemblée nationale (avec cinq députés ; en 2008, c’est sa présence qui légitime l’action du Front de défense de la démocratie (FNDD) ; en 2009 sa candidature au nom du FNDD et son résultat sont pour beaucoup dans la relégation de Ould Daddah parti initialement pour être LE candidat de l’Opposition ; en 2010, sa présence aux côtés du Président Ould Abdel Aziz permet à celui-ci de délégitimer l’action de ses détracteurs ; en 2011 et 2012, c’est bien son acceptation d’aller au dialogue qui donne à celui-ci tout l’envergure qu’il a eu ; en 2013, on ne parle plus que de «l’initiative du Président Messaoud»… Comment va-t-il accepter aujourd’hui de faire partie du deuxième rang ?
Au niveau de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), le choix du boycott devra être coûteux. En terme de cohésion d’abord : comment ces partis qui n’ont rien à voir les uns avec les autres (à part l’adversité vis-à-vis de Ould Abdel Aziz) vont-ils rester ensemble ? Quelles conclusions vont-ils tirer d’un boycott justifié par la volonté de faire échouer les élections lesquelles se sont finalement déroulées dans de bonnes conditions ?
Sur le plan de l’action, on peut la résumer à deux évènements : une marche avant le premier tour et une autre avant le second. Est-ce suffisant ? Non, parce que le taux de participation a dépassé les 70%. Non parce qu’il y a un après qui donne une configuration politique plutôt excellente pour le pouvoir.
En cours de route, la COD a perdu Tawaçoul, sans doute le parti le plus dynamique en son sein et aussi le plus virulent. Grâce aux résultats obtenus au cours des élections, Tawaçoul fait d’une pierre deux coups.
Parti récent (2007-2008), il s’impose aujourd’hui comme une force majeure sur l’échiquier national. Ses victoires et sa présence dans la Mauritanie profonde lui augurent d’un avenir plutôt radieux. Il dispute aujourd’hui la présidence de la Communauté Urbaine de Nouakchott à l’UPR. Il est déjà le Chef de file de l’Opposition démocratique. Ce qui l’impose à tous comme leadership de l’opposition, comme son porte-parole.
Ce résultat permet, en seconde lecture, de conforter Tawaçoul dans ses choix. Ceux au sein de ses compagnons de la COD qui lui avaient reproché la participation savent aujourd’hui que le parti a tout gagné : être l’opposition «principale» du Pouvoir en place et rester ainsi dans le jeu. Ce qui n’est pas le cas des autres qui doivent se débattre aujourd’hui pour trouver le moyen de ne pas rester au bord de la route.
Reste un parti, l’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement de Rénovation (AJD/MR) de Ibrahima Moktar Sarr. Ce parti est l’invité-surprise de l’après-élection. Longtemps dans le sillage de l’Opposition, l’AJD/MR a fait partie de la Majorité avant de la quitter pour rester entre les deux. Même s’il y a été, il ne fait pas partie des «dialoguistes», il n’est pas non plus de la COD. Alors ?

Dès l’élection du directoire de la CUN, on verra où l’AJD/MR va se positionner. Si le vote de ses quatre délégués de Sebkha va à Tawaçoul, c’est qu’il faut attendre le parti à l’Institution de l’Opposition, si le choix est l’UPR, c’est qu’il reviendra à la Majorité. En contrepartie de postes ministériels peut-être ? C’est le seul parti qui est en mesure aujourd’hui de négocier un tel marché, parce que son soutien est capital dans une bataille cruciale pour l’UPR. Mais l’on sait que les penchants de Ibrahima Moktar Sarr sont plutôt «islamistes» et qu’il est déjà en pourparlers avancés avec Tawaçoul…