Plus
on s’éloigne de l’avant 3 août 2005, plus la conscience du «paradis perdu» se
précise chez les plus sceptiques. Cela se traduit par la résurgence de la
nostalgie, exprimée ou non, de cette période qui fut la plus longue pour le
pays, probablement la plus marquante pour une Nation qui reste en construction.
21
ans d’un régime désormais différemment apprécié, après avoir été unanimement
condamné. Ce qui a d’ailleurs expliqué et justifié, très largement, le coup
d’Etat d’août 2005 et l’absence de toute réaction des soutiens et des
dignitaires du régime de l’époque.
7
ans plus tard, des appels sont lancés pour célébrer l’homme, son exercice et
son époque. Parfois timidement, de plus en plus ouvertement. L’homme a lui-même
écrit un livre sur le «printemps arabe» après toutes ces années de silence, une
tentative de se remettre en scelle à un moment où l’on présageait ici une
contamination imminente. Le calcul a raté et l’ancien chef d’Etat a voulu faire
croire que le livre en question était une «fabrication» et non un authentique
produit de son intelligence…
C’est
bien parce que son régime n’a pas fait l’objet d’un procès public, ses
successeurs préférant «’ava Allhu ‘an maa salaf» (Dieu pardonne le passé), que
les hommes de ce régime peuvent aujourd’hui occuper les devants, que ses
nostalgiques tentent de le réhabiliter…
Nous
choisissons quant à nous de célébrer l’homme et son régime à travers la
commémoration du 12 décembre 1984, date de sa prise du pouvoir à la faveur d’un
coup d’Etat intervenu alors que le Chef de l’Etat de l’époque, le colonel
Mohamed Khouna Ould Haidalla dont il était le principal suppôt, participait,
sous l’insistance de la France, au sommet de la francophonie à Bujumbura.
Nous
ne pouvons passer sous silence cette date pour ce qu’elle symbolise
désormais : le pouvoir de Ould Taya. Rien que parce que ce 12/12 arrive un
mercredi comme le premier, qui plus est l’année 2012. Ce qui fait 12/12/12, une
configuration que l’on ne vit pas deux fois dans un pays où l’espérance de vie
atteint à peine 60 ans.
Le
«12/12» sera une négation de ce qui a précédé, sans pour autant occasionner l’éclosion
d’un «esprit» propre. Ni esprit, ni air, ni idéologie dominante. Ould Taya a
préféré gouverner selon les besoins du moment, s’alliant avec tel groupuscule
contre tel autre, avec telle force contre telle autre. Ce pourquoi tous les
mouvements politiques ont été à un moment ou un autre persécutés et leurs
leaders emprisonnés, torturés, parfois exilés. On passait allègrement du statut
de dignitaire du régime à celui de prisonnier persécuté.
En
21 ans d’exercice, la Mauritanie aura eu droit un ante-Atatürk qui n’a pas eu
les moyens de ses ambitions souvent mal exprimées et toujours mal mises en
œuvre. Cela a donné ce qu’on pouvait en espérer : un modernisme débridé,
une révolution sociale avortée, un libéralisme corrompu par les jeux
d’écriture, un nationalisme qui s’apparentait au chauvinisme, un traditionalisme
qui fut une négation de l’authenticité, une ouverture qui avait fini par être
une autre manière de se replier sur soi, de s’enfermer dans ses limites les
plus exigües et de refuser les mutations les plus nécessaires.
Sape
des fondements de l’Etat, corruption des rapports à la politique, inversement
de l’échelle des valeurs sociales, exacerbation des différences et leur
instrumentalisation, culture des fractures ethniques, régionales et tribales, pillage
systématique des ressources, isolement diplomatique et géographique du pays…
C’est cette Mauritanie émiettée et perdue pour elle-même que le système Ould
Taya laisse derrière lui en août 2005.
Regardez
autour de vous aujourd’hui, qui voyez-vous aux premières lignes ? Les plus
proches collaborateurs de Ould Taya, à la tête des trois grandes coalitions des
partis mauritaniens, des hommes qui ont trempé dans la gestion catastrophique
du pays, qui ont participé au sac du pays, qui ont béni parfois provoqué
l’expulsion et les exactions commises à l’encontre de certains de leurs frères,
qui se sont tus sur les injustices, sur l’arbitraire…
Ecoutez-lez
jurer vouloir tout le bien pour la Mauritanie, chercher à redresser les torts
commis par le régime, espérer la fin de la parenthèse qui s’est ouverte un
certain 3 août 2005…
L’un des plus grands torts commis par ce régime, c’est
celui d’avoir perdu des dizaines de compétences, de jeunes (à l’époque) bien
formés, très aptes à réussir à contribuer au développement du pays, et qui se
sont retrouvés pris dans le piège de la prédation, de la corruption et de la
délation. Ceux-là sont à regretter. Pour eux-mêmes et pour la Mauritanie.
Evoquez les noms et vous aurez une idée de l’ampleur du drame.