mardi 20 mars 2012

Douleur et recueillement en France


Le sauvage assassinat des trois enfants et d’un père de famille de trente ans a ému la France toute entière. C’est normal. Même ici, cela émeut ceux parmi nous qui vivent le monde comme s’il s’agissait d’un petit village dont les habitants, nonobstant les distances, demeurent proches les uns des autres. C’est, je crois, l’un des drames de l’humaine condition : la douleur partagée dont nait nécessairement le devoir de solidarité.
Les débats restent ouverts en France malgré l’arrêt de la campagne présidentielle, un arrêt mécanique va-t-on dire parce que, comme l’a dit quelqu’un, la politique continue d’occuper l’espace public. Avec cependant une retenue qu’on peut envier à nos amis français. Comme s’il y avait des moments où les interdits existent. Comme s’il y avait des limites pour les politiques, des limites qu’il faut respecter, des limites que chacun respecte. Cela relève du pacte national.
Je retiendrai de tout ce qui a été dit, quelque chose qui doit valoir pour nous, journalistes, politiques et simples citoyens. Un criminologue qu’on interviewait pour l’amener à dresser le profil de l’assassin qui a, en plus des quatre personnes de confession juive, probablement tué aussi trois parachutistes (deux arabes de confession musulmane et un martiniquais), ce criminologue a eu cette réplique : «nous sommes au stade où l’on ne peut parler que de l’irréfutable, l’on ne peut analyser que l’irréfutable, ce qui est établi. Il faut justement éviter de se perdre dans les suppositions, les commentaires parce que cela non seulement relève de la mauvaise foi, mais peut influer négativement sur le cours de l’enquête». En substance, c’est ce qu’il a dit et j’ai pensé à notre espace public où la culture de la rumeur a effectivement remplacé celle de l’information et où aucune source n’est plus crédible.
Nous avons assisté à la dépréciation de la parole publique à travers des moyens de communication de masse (radio et télé) entièrement dédiés au culte de la personnalité du chef. Durant des décennies, on subissait ce mensonge qui nous martelait que nous étions dans le meilleur des mondes possibles. Puis nous avons glissé vers l’utilisation abusive du mensonge pour finir pris au piège de nos prétentions.
Quand Ould Taya faisait ses visites dans les régions, on s’empressait de déployer le même rituel qui commence par les accueils fastueux et se termine par les discours enflammés. Une entreprise de «tromperies» qui a fini par …ne plus tromper. Ou par excéder.
A la base de la culture de «tesfag» qui a pris racine en ces années-là, il y a toujours eu cet élan quasi-consensuel autour d’un mensonge (le soutien au chef, à la lutte contre l’analphabétisme, au kitaab, à l’obésité…). Cela a pris parfois des aspects dramatiques qui pèsent encore sur notre devenir. Parlons des plus récents.
Quand notre administration financière a créé les fausses statistiques, le fameux épisode «des faux chiffres» et que le pays, pour masquer ses déboires de gestion, adoptait la tricherie et le mensonge pour continuer à donner une image acceptable de lui-même. Si on ment à nos partenaires techniques et financiers (PTF), il n’y avait aucun mal à cela aux yeux de notre encadrement. A peine si cela ne participait pas au Jihad contre les mécréants. Et c’est ainsi qu’à la faillite économique, on ajoutait sciemment la faillite morale d’une société.
En 2007, nous avons, cette fois-ci tous, salué, avec plus ou moins de ferveur, l’élection présidentielle qui s’est déroulée dans la transparence et en toute régularité. Alors que nous savions, cette fois-ci tous, que les dés étaient pipés au départ et qu’en fait de «régularité», nous avons assisté au «dopage» de l’un des candidats par les autorités militaires au pouvoir à l’époque. Qu’à cela ne tienne, nous y sommes allés sans discernement… Quand intervient la crise politique dont le coup d’Etat d’août est un épisode, nous avons affiché la surprise alors que la plus pessimiste des analyses ouvrait sur un effondrement inévitable…
On prête au Prophète Mohhamd (PSL) ces paroles : «ma communauté ne fait pas unanimité autour d’une déviance (ou perdition)». Quelle déviance plus dangereuse et plus condamnable que le mensonge ?