J’ai
reçu ce papier que j’ai voulu partager avec vous en signalant que l’auteur est
une figure emblématique du mouvement national démocratique (MND), d’où l’intérêt
de ce qui ressemble plus à un cri de cœur qu’à un exercice froid d’analyse. A vous
d’en juger :
«Je ne pouvais imaginer qu’un jour, certains
parmi nous ne croiront plus à la démocratie et n’en voudront pas, nous qui avions abandonné
les idées nationalistes chauvines à la fin des années 60 pour adopter la pensée
démocratique, ou plus exactement «la démocratie populaire».
Je ne pouvais
imaginer qu’il se trouvera parmi nous des gens qui
n’écouteront pas et qui ne se plieront
pas à la voix des masses populaires, de la base, celles-là même qui
permettent de réaliser les objectifs tactiques et stratégiques que nous avons
fait nôtres.
Je ne pouvais
imaginer qu’alors que nous avons acquis un espace démocratique dans lequel nous
nous sommes engagés par la persévérance, le combat et les sacrifices des années
90, il se trouvera parmi nous des personnes qui
défendront aujourd’hui le défaitisme et la fuite en avant, sans motif
stratégique autre que celui de la peur de participer franchement au jeu
politique sur une scène où seul l’engagement peut faire avancer les choses.
Je ne pouvais imaginer
un instant qu’il se trouvera parmi nous certains qui travailleront à nous faire taire, à nous empêcher de faire
entendre notre discours politique, à nous priver d’exploiter toutes les
tribunes pour faire entendre notre voix. faire connaitre nos idées et notre
projet de société, produits d’un long parcours et motifs d’une grande fierté.
N’avons-nous pas
fait le choix stratégique de ne renoncer à aucune des tribunes offertes (ou
conquises) pour faire passer notre message? N’est-ce pas pour cela que nous avions participé aux
organisations de masses du Parti du Peuple Mauritanien (PPM), puis après à
toutes les organisations réactionnaires à pensée unique ?
Nous avions à
chaque fois choisi délibérément d’occuper les espaces existants.
Nous avions par exemple
participé à la conception et à la rédaction du journal «Gounguel Soukabé» qui
était l’organe de la jeunesse du PPM à Kaédi. Cela nous avait permis de publier
de belles réflexions qui versaient toutes dans notre vision de la société. Une
vision souvent en contradiction avec la pensée dominante : souvenez-vous
des articles contre la guerre du Sahara qui, à nos yeux, menaçait gravement les
«réformes» entreprises à l’époque (pas besoin de rappeler que l’Histoire devait
nous donner raison).
Nous avions aussi intégré
activement l’Union des travailleurs de Mauritanie, syndicat affilié au PPM.
Puis nous avions été actifs dans le «Volontariat national» des années 80, avant
d’aller dans les Structures d’éducations des masses (SEM).
Nous soutiendrons plus
tard la liste dirigée par Messaoud Ould Boulkheir aux municipales de 90 à
Nouakchott, avant d’aller à toutes les élections proposées par le régime
d’alors.
A ce moment-là,
les cartes d’identité étaient confectionnées sur des cartons volants, les fonds
de verre servant à imiter les cachets. A ce moment-là aussi, pas moyen de
contrôler le travail d’une administration complètement inféodée.
Nous avons arraché
au pouvoir de Ould Taya, grâce à notre persévérance dans la lutte par le
dialogue, l’établissement d’une carte nationale infalsifiable. Nous avons aussi
enlevé aux dictateurs successifs maintes concessions qui nous ont permis de
conquérir 6 Mairies dont deux centrales (Boghé et Barkéwol) et 3 députés qui
comptent aujourd’hui parmi les meilleurs et les plus représentatifs de la ligne
populaire. Ce qui leur est reconnu unanimement, y compris par leurs adversaires
les plus radicaux. Les députés Kadiata Malick Diallo et Moustapha Bedredine se
distinguaient par la maitrise des sujets traités, par la capacité à faire parvenir
les critiques et les plaintes des couches défavorisées. Toutes ces
organisations et ces élections là n’étaient-elles pas fondamentalement
unilatérales et falsifiées ?
Toutes ces
élections, toutes ces conquêtes ont été possibles grâce à notre forte
détermination d’exploiter tous les espaces ouverts dans un environnement ou
l’unilatéralisme des dirigeants a toujours été de mise.
Nous avons défié
l’unilatéralité, la fraude et la manipulation parce que ce n’est pas la
régularité de ces élections qui nous amenait à y participer, mais la prise en
compte de leur légalité comme cadre nous permettant de faire parvenir notre
discours, notre message à la plus grande frange de notre peuple qui reste la
source de notre inspiration et dont le bien-être est l’objectif de notre
action…
Je ne pouvais
imaginer qu’il se trouvera un jour parmi nous des compagnons qui oseront
sacrifier tous ces acquis et tous ces militants qui ont permis de réaliser ce
parcours, pour… pour… pourquoi en fait ?
Je ne pouvais
imaginer qu’un jour, il se trouvera parmi nous quelqu’un qui chercherait une opinion publique – encore à créer en
Mauritanie – au risque d’ignorer et de mépriser cette opinion publique que
constituent les militants de notre parti, ceux-là qui ont, bon an mal an,
accompagné et soutenu notre combat, ceux qui ne cherchent que la réalisation
d’objectifs communs, d’objectifs nobles et qui ne sont mus que par la foi en
des principes hautement valeureux.
Je ne pouvais
imaginer qu’il se trouvera un jour parmi nous des personnes qui, après avoir défendu la participation à l’élection,
contestable du reste et unilatérale par excellence, de 2009, appellent au
boycott d’élections locales où les candidats restent quand même des
ressortissants des communes concernées dont les habitants ne veulent que les
plus représentatifs et les plus probes de leurs enfants comme représentants,
nonobstant l’unilatéralisme du processus électoral.
La démocratie
n’est-elle pas fondée sur le principe de la participation à tous les aspects de
la vie politique ? Pour ce qui est des garanties, comme il est de
tradition chez nous, c’est à nous de les donner à nos militants à travers leur
mobilisation en vue de dénoncer toutes les infractions et de les faire échouer.
Personne en fait, ne peut nous donner ce que nous voulons, parce que nous, nous
l’arrachons, comme par le passé. Et puis, n’y a-t-il pas encore des gens qui
savent distinguer entre les enjeux locaux et ceux qui relèvent du niveau
national ?... Sommes-nous allés aussi loin dans les erreurs de jugement ?
Dommage.
Je ne pouvais
imaginer non plus qu’il se trouvera parmi nous des gens qui ignoreront que l’exercice politique découle d’une analyse
froide de la réalité qu’on voudra changer vers le meilleur.
Ne disions-nous
pas : «prends de ta main gauche ce qu’on te donne et tends la main droite
pour avoir plus» ? Moteur d’une lutte continue que cette affirmation…
Mais… mais… tout
ce que je ne pouvais imaginer est arrivé.
Il s’agit aujourd’hui d’une situation née
quand la vénérable direction de mon Parti a choisi de ne pas répondre aux
attentes des masses militantes qui ne demandaient que la cohérence dans les
positions par rapport à l’histoire commune.
Quand cette
direction a d’abord choisi de ne pas choisir, de tanguer entre «la
participation» et «le boycott», avant de se résoudre à exiger le retrait des
listes déposées en son nom par des militants convaincus de la nécessité pour
eux de participer, d’occuper le terrain, de faire entendre leurs voix en vue de
refuser le diktat et l’arnaque politique.
…Qu’Allah préserve
l’Union des forces du progrès, qu’Il lui rendre ses masses militantes et tous
ceux qui ont décidé – ou vont décider - de le quitter…
Nous n’avons
jamais été adeptes de la démission devant les défis…
Je ne m’imaginais
pas qu’il se trouverait parmi nous des
démissionnaires au premier écueil. Une expérience de plus de cinquante ans nous
a aguerris. Assez pour nous amener, le cas échéant, à reconnaitre nos erreurs
et à travailler pour les corriger. Pour éviter le pire.»
Aynina Ould Ahmed
El Hadi
-Membre fondateur du
Mouvement national démocratique (MND)
- Signataire et
co-fondateur du Groupe des 25 revendiquant la démocratisation en 1991
- Membre fondateur
de l’Union des Forces Démocratiques (UFD)
- Militant de
l’UFP