«La mort pour nous est une fatalité que
nous vivons comme s’il s’agissait d’une nécessité de …la vie. Nous
l’accueillons avec philosophie et résignation. Mais une résignation qui a son
côté noble et non défaitiste. Comme s’il s’agissait d’un choix que nous
assumons, que nous avons toujours assumé, que nous continuons d’assumer.»
C’est
en ces termes que je m’adressais à toi au lendemain de la mort de Seyid. Je saluais
alors ton courage. Je te disais que tu devais garder cette dignité que tu as
toujours incarnée, cette sollicitude qui est tienne, cette humilité qui a
toujours été la source de ta force devant les épreuves…
Aujourd’hui,
moi, ton frère, j’ai besoin d’un message pareil. J’ai besoin d’être réconforté
dans mon désespoir, de partager cette douleur que nous apprenons, dès l’enfance,
à contenir, à subjuguer, à dépasser…
Parce
que nous sommes Musulmans – et heureusement que nous le sommes -, nous avons
une relation particulière avec la mort. Nous disons souvent qu’elle est… «héréditaire» pour signifier qu’on n’y
peut rien. Nous disons des gens comme toi qu’ils ont eu «une vie plus large que longue», pour signifier l’intensité de cette
vie si courte qu’elle ressemble à un passage d’étoile.
Qu’est-ce
qu’on ne peut pas dire de toi en bien, en valeurs qui sont les nôtres ?!?
Je m’abstiendrai de rappeler la constante générosité, la débordante humanité,
le souci de partager, la volonté de rendre l’autre bien plus heureux, bien plus
à l’aise…
J’insisterai
seulement sur deux qualités que tu as su préserver jusqu’à la fin : la
fidélité et l’humilité.
Tu
as été la même depuis qu’on s’est connus, adolescents, sur les bancs du Lycée
national. Toujours la même disponibilité, la même promptitude à servir, à
soutenir, à accompagner les amis dans leur détresse, à les écouter, à les chercher
pour savoir s’ils n’avaient pas de problèmes, à les chercher pour entretenir
avec eux quelques souvenirs de rapports sains parce que désintéressés…
Ce
n’est pas l’appartenance à une famille dont un membre a fini par devenir
Président de la République, qui va changer cette sollicitude. Une image :
Nous
sommes le 9 janvier 1992. Je dois prendre l’avion présidentiel pour assister au
lancement de la campagne du candidat Ould Taya à Néma. Comme tout «bleu», j’arrive très tôt dans le salon d’honneur.
Les autres arrivent un à un mais s’abstiennent de me saluer. Même ceux qui me
connaissent parfaitement font semblant d’avoir affaire à un extraterrestre. Si bien
que personne n’ose prendre place sur la rangée de canapés sur laquelle j’avais
pris place. Un peu avant l’arrivée du Président-candidat, Jemila Mint Taya
arrive. Au lieu d’aller vers les ministres et les responsables qui se serraient
là-bas, elle pique vers moi et me salue chaleureusement (nous sommes frères de
lait, grâce à feu Emmana Mint Boutarfaya, Allah yarham-ha). Elle ne revient pas
aux autres et préfère rester aux côtés du rédacteur en chef d’Al Bayane,
journal «ennemi»…
Jemila
est beaucoup plus qu’une anecdote ou deux. Elle a été un être exceptionnel pour
ceux qui l’ont connue. «L’amitié, a
dit quelqu’un, est lente à mûrir, et la
vie si rapide».
Aux
élèves de la TA4, filles et garçons, à ceux du Lycée national de l’époque des
années 80, aux habitants de Nouakchott qui l’ont connue enfant puis adulte et
responsable, à ceux d’Atar, de Boutilimitt, aux ami(e)s, aux compagnons de classe
et de travail, à Mohamed Yeslim, à Ayshoush et à tous les enfants, à Maman
Khadaja, à Shahra, à toute la famille… à tous l’expression de mes condoléances
les plus attristées, l’expression de ma solidarité.
Il
me vient à l’esprit ce texte qu’on se faisait passer pour lecture quand on
était en classe Terminale, un texte de Martin Gray que j’ai dû chercher aujourd’hui,
n’en trouvant qu’un extrait :
«La mort des êtres chers, c’est un cyclone
qui vous aspire, dans lequel vous pouvez vous laisser entraîner et vous y
noyer. Il faut s’éloigner du cyclone. Il faut vouloir survivre.
Et c’est en soi, seulement en soi
et par soi, qu’on peut décider de vaincre le désespoir de la mort. Par l’action
et la pensée, il faut construire des barrages contre ce désespoir, puis se
tourner vers les autres, vers la vie…
Etre fidèle à ceux qui sont morts,
ce n’est pas s’enfermer dans sa douleur. Il faut continuer à semer ses rêves, à
creuser son sillon droit et profond, comme ils l’auraient fait eux-mêmes ou comme
nous l’aurions fait avec eux et pour eux.
Etre fidèle à ceux qui sont morts,
c’est vivre comme ils auraient vécu et les faire vivre en nous».
(Martin Gray, «Le livre de la vie»)