mardi 23 juillet 2013

Ma sœur, tu es partie

«La mort pour nous est une fatalité que nous vivons comme s’il s’agissait d’une nécessité de …la vie. Nous l’accueillons avec philosophie et résignation. Mais une résignation qui a son côté noble et non défaitiste. Comme s’il s’agissait d’un choix que nous assumons, que nous avons toujours assumé, que nous continuons d’assumer.»
C’est en ces termes que je m’adressais à toi au lendemain de la mort de Seyid. Je saluais alors ton courage. Je te disais que tu devais garder cette dignité que tu as toujours incarnée, cette sollicitude qui est tienne, cette humilité qui a toujours été la source de ta force devant les épreuves…
Aujourd’hui, moi, ton frère, j’ai besoin d’un message pareil. J’ai besoin d’être réconforté dans mon désespoir, de partager cette douleur que nous apprenons, dès l’enfance, à contenir, à subjuguer, à dépasser…
Parce que nous sommes Musulmans – et heureusement que nous le sommes -, nous avons une relation particulière avec la mort. Nous disons souvent qu’elle est… «héréditaire» pour signifier qu’on n’y peut rien. Nous disons des gens comme toi qu’ils ont eu «une vie plus large que longue», pour signifier l’intensité de cette vie si courte qu’elle ressemble à un passage d’étoile.
Qu’est-ce qu’on ne peut pas dire de toi en bien, en valeurs qui sont les nôtres ?!? Je m’abstiendrai de rappeler la constante générosité, la débordante humanité, le souci de partager, la volonté de rendre l’autre bien plus heureux, bien plus à l’aise…
J’insisterai seulement sur deux qualités que tu as su préserver jusqu’à la fin : la fidélité et l’humilité.
Tu as été la même depuis qu’on s’est connus, adolescents, sur les bancs du Lycée national. Toujours la même disponibilité, la même promptitude à servir, à soutenir, à accompagner les amis dans leur détresse, à les écouter, à les chercher pour savoir s’ils n’avaient pas de problèmes, à les chercher pour entretenir avec eux quelques souvenirs de rapports sains parce que désintéressés…
Ce n’est pas l’appartenance à une famille dont un membre a fini par devenir Président de la République, qui va changer cette sollicitude. Une image :
Nous sommes le 9 janvier 1992. Je dois prendre l’avion présidentiel pour assister au lancement de la campagne du candidat Ould Taya à Néma. Comme tout «bleu», j’arrive très tôt dans le salon d’honneur. Les autres arrivent un à un mais s’abstiennent de me saluer. Même ceux qui me connaissent parfaitement font semblant d’avoir affaire à un extraterrestre. Si bien que personne n’ose prendre place sur la rangée de canapés sur laquelle j’avais pris place. Un peu avant l’arrivée du Président-candidat, Jemila Mint Taya arrive. Au lieu d’aller vers les ministres et les responsables qui se serraient là-bas, elle pique vers moi et me salue chaleureusement (nous sommes frères de lait, grâce à feu Emmana Mint Boutarfaya, Allah yarham-ha). Elle ne revient pas aux autres et préfère rester aux côtés du rédacteur en chef d’Al Bayane, journal «ennemi»…
Jemila est beaucoup plus qu’une anecdote ou deux. Elle a été un être exceptionnel pour ceux qui l’ont connue. «L’amitié, a dit quelqu’un, est lente à mûrir, et la vie si rapide».
Aux élèves de la TA4, filles et garçons, à ceux du Lycée national de l’époque des années 80, aux habitants de Nouakchott qui l’ont connue enfant puis adulte et responsable, à ceux d’Atar, de Boutilimitt, aux ami(e)s, aux compagnons de classe et de travail, à Mohamed Yeslim, à Ayshoush et à tous les enfants, à Maman Khadaja, à Shahra, à toute la famille… à tous l’expression de mes condoléances les plus attristées, l’expression de ma solidarité.
Il me vient à l’esprit ce texte qu’on se faisait passer pour lecture quand on était en classe Terminale, un texte de Martin Gray que j’ai dû chercher aujourd’hui, n’en trouvant qu’un extrait :
«La mort des êtres chers, c’est un cyclone qui vous aspire, dans lequel vous pouvez vous laisser entraîner et vous y noyer. Il faut s’éloigner du cyclone. Il faut vouloir survivre.
Et c’est en soi, seulement en soi et par soi, qu’on peut décider de vaincre le désespoir de la mort. Par l’action et la pensée, il faut construire des barrages contre ce désespoir, puis se tourner vers les autres, vers la vie…
Etre fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas s’enfermer dans sa douleur. Il faut continuer à semer ses rêves, à creuser son sillon droit et profond, comme ils l’auraient fait eux-mêmes ou comme nous l’aurions fait avec eux et pour eux.

Etre fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient vécu et les faire vivre en nous». (Martin Gray, «Le livre de la vie»)