mercredi 11 janvier 2012

Prêts pour la révolution !


Après la sortie politique de Mohamed El Hacen Ould Dedew, voici venir le tour de Mohamed el Mokhtar Echenguitti, cet intellectuel et idéologue islamiste établi au Qatar.
Dans une longue diatribe parue sur le site alakhbar.info, Echenguitti vilipende avec véhémence le pouvoir de Ould Abdel Aziz qu’il appelle à se démettre.
Dans ce pamphlet, le penseur islamiste juge que le pouvoir de Ould Abdel Aziz est usé par «des facteurs de faiblesse mortelle», que ses forces relèvent du temporaire et ne lui offrent pas les conditions de la stabilité comparant ces forces aux «feuilles d’un hivernage en un jour orageux». Citant entre autres «faiblesses» : le faible ancrage social et sa limitation, l’intensification de la crise économique et sociale en Mauritanie, le pillage «de plus en plus systématique et sans scrupules des ressources de l’Etat». Ajouter à cela selon lui «la mauvaise gestion des relations extérieures, l’alliance avec les perdants, ce qui dénote d’une méconnaissance profonde de la logique de l’Histoire». Allant jusqu’à considérer que le Président Ould Abdel Aziz manque cruellement de capacités intellectuelles pour mener à bien le renforcement de la démocratie, encore moins le changement attendu.
Dans son adresse qui prend l’allure d’une profession de foi, Echenguitti croit que pour déstabiliser Ould Abdel Aziz, il y a lieu de constituer une forte alliance rassemblant forces politiques et sociales capables de vaincre le pouvoir. Quatre regroupements devraient être ainsi sollicités pour réussir la révolution : les étudiants et élèves du secondaire, les Haratines pour l’endurance de leurs conditions, les partis traditionnels d’opposition et la mouvance islamiste pour sa jeunesse.
La mouvance islamiste estime apparemment pouvoir faire bouger écoles et universités pour créer l’embryon d’un soulèvement populaire. On comprend dès lors le mouvement qui empêche l’ISERI (institut des sciences et d’études religieuses islamiques) qui accueille les sortants de l’enseignement traditionnel, de fonctionner. C’est ici que se recrute jusqu’à présent l’essentiel des militants de l’islamisme politique. L’avoir transféré en une université à Aïoun (800 km de Nouakchott) dérange le milieu islamiste militant, d’où toute la résistance déployés ces derniers temps.
Le clin d’œil à la force Haratine (anciens esclaves) ne plait visiblement pas dans les milieux militants de la cause anti-esclavagiste. Les observateurs ont été surpris par cette virulente sortie de Birame Ould Abeidi de IRA contre Mohamed El Hacen Ould Dedew, le leader et inspirateur de la mouvance. Cette sortie, peu commentée dans les milieux islamistes, pourrait signifier la fin d’une aventure commune. En réalité, l’appel de Echenguetti à exploiter la souffrance des Haratines est déjà ressenti comme une provocation de plus d’un «bien-né qui n’a jamais eu à cœur de dénoncer cette souffrance-là».
Les partis traditionnels d’opposition sont déjà, pour certains, organisés dans la Coordination de l’Opposition démocratique (COD) qui continue d’appeler au soulèvement contre le régime. Au-delà de ces appels sans lendemains jusqu’à présent, on peut s’attendre à des hésitations de la part de la plupart des composantes de la COD qui ne voudrait pas s’investir dans une bataille dont le gagnant est connu d’avance. On n’a certainement pas oublié la précipitation des islamistes à reconnaitre l’élection de 2009 qui a permis à Ould Abdel Aziz de troquer sa vareuse de général arrivé au pouvoir à la suite d’un putsch dénoncé par la plupart, contre son costume de civil légitimement élu au terme d’un accord qui a vu la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.
Echinguetti estime dans son analyse très marquée qu’il existe trois scénarii devant Ould Abdel Aziz. Il peut être aveuglé par son enfermement à vouloir anticiper le mouvement de révolte envisagé en emprisonnant et en réprimant toutes les voix opposantes. Il peut comprendre – «et il lui est difficile de comprendre» - que l’avènement d’un pouvoir civil est incontournable et pour cela être poussé à accélérer le pillage qu’il a entrepris selon les termes de Echenguitti, quitte à faire face au soulèvement par la répression aveugle. Il peut attendre et essayer d’écraser le mouvement du changement à travers un bain de sang et dans ce cas ces forces pourraient compter sur … la compréhension de l’Armée qui ne peut être de son côté…
Du déjà entendu… L’intervention de l’idéologue moderne de la mouvance islamiste intervient quelques jours après un prêche de Cheikh Ould Dedew, prêche fait dans une interview d’une chaine du Qatar.
Continuant sur sa lancée des dernières semaines, Ould Dedew a essayé de créditer la mouvance islamiste de toutes les bonnes intentions. Sans pour autant détailler le projet politique, ni la position vis-à-vis des questions de gouvernance démocratique, de l’école moderne, de la femme, de l’esclavage, des questions de la coexistence communautaire… Rien de tout ça. Juste une profession de foi sur «la bonté des islamistes». C’est pourquoi : «rien ne justifie la crainte de voir les islamistes arriver au pouvoir». Parce qu’«on ne doit pas avoir peur des hommes vertueux et pacifiques, mais on aurait plutôt dû avoir peur de ceux qui sèment l’injustice et la corruption sur terre». Il a rappelé, selon la traduction d’alakhbar.info que «L’objectif du printemps arabe était pour éradiquer un mal ; il est donc inconcevable que cela se fasse par l'instauration d'un autre mal. Il ne s’agit pas, simplement, de remplacer des hommes par d’autres, mais de créer, graduellement, des conditions meilleures, tout en évitant de brûler les étapes». Qui dit mieux ?
La mouvance islamiste – que ce soit au niveau du parti Tawaçoul ou ailleurs – est confronté à un dilemme sérieux : après avoir refusé de participer au dialogue, elle est obligée d’envisager la participation à des élections dont elle n’a pas préparé le cadre et les outils. Et ce au moment où elle est revigorée par les victoires des «frères» du Maroc, de l’Egypte, de Tunisie… Peut-être que le radicalisme dans l’opposition à Ould Abdel Aziz pourrait rapporter en terme de voix à la mouvance. Après tout les victoires ailleurs sont aussi expliquées par une «prime à l’opposition». Pourquoi pas ici ?