mercredi 22 avril 2015

Le Président et le Dictateur

Le Président, c’est Nicolas Sarkozy ; le Dictateur, c’est Mouammar Kadhafi. Le documentaire d’Antoine Viktine raconte la relation qui a lié les deux hommes.
Tout devait les séparer, tout a fini par les réunir, par les mettre ensemble (c’est différent). L’un est le Président d’une démocratie à laquelle on prête volontiers le surnom de «Patrie des Droits de l’Homme», l’autre est un officier nationaliste, arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat et qui tient son pays par la pratique quotidienne de la violence, le sac des ressources de la communauté et l’entretien de milices prêtes à écraser dans le sang toute velléité de contestation.
Mais le caractère des deux hommes était plus fort que toutes les considérations humanistes, voire idéologiques. Un caractère fait d’amour de soi, le mépris des autres.
Tout commence quand le ministre de l’intérieur français qui vise la présidence de mai 2007, se rend en Libye pour séduire le Guide de la Révolution libyenne, Mouammar Kadhafi. Nicolas Sarkozy est déjà sous la coupe du Cardinal Claude Guéant qui réussit à asseoir une relation forte, emprunte d’avidité de part et d’autre. Mouammar Kadhafi a besoin d’une reconnaissance internationale, après avoir été classé par les Américains dans la catégorie des parrains du terrorisme alors que la Libye est fichée dans celle des rogue-states (Etats voyous). Nicolas Sarkozy, lui, prépare une présidentielle où il se présente comme le candidat de la rupture. Le colérique qu’il est gagnerait à donner une image d’homme d’ouverture. Alors que le politique avait déjà promis de rompre avec les logiques et les méthodes de la Françafrique. Il veut aussi, par cette démarche envers Mouammar Kadhafi, obtenir la libération des infirmières bulgares emprisonnées en Libye et considérées par l’Occident comme otages du Guide excentrique. S’il obtenait cette libération, Nicolas Sarkozy passerait pour l’homme des situations difficiles, celui des négociations ardues… Il avait besoin de toutes ces étiquettes dès le début de sa conquête du pouvoir.
Pourtant il avait promis de combattre les dictatures pendant sa campagne, de ne jamais s’acoquiner avec les méchants chefs d’Etats qui ont asservi leurs peuples, d’être aux côtés des peuples opprimés. Ce qui ne l’empêche pas d’établir des relations privilégiées avec l’un des dictateurs les plus insolents et des plus violents du versant sud de la Méditerranée.
22 juillet 2007, les infirmières sont libérées et remises à Madame Cécilia Sarkozy. L’orchestration de cette libération est d’abord un coup de com pour le nouveau Président français. Elle est ensuite une tentative de sa part d’éviter le départ de son épouse excédée déjà par le caractère de l’homme et les ambitions excessives du politique. Une façon de lui donner un rôle de premier plan et de lui dire qu’elle a tout à gagner du statut de Première Dame de la France. Une tentative de corruption vaine parce que Cécilia quittera Nicolas Sarkozy peu après.
Pour réussir le coup, le nouveau Président français a cour-circuité la Commissaire européenne chargée des relations extérieures et qui était sur le point d’obtenir cette libération. Une interférence qui a eu un coût parce qu’on parle d’un prix payé par la France de Sarkozy au dictateur libyen et à son entourage. Toujours est-il que trois jours après cette libération (25/7/2007), le Président Nicolas Sarkozy débarque en Libye où il parle de la signature d’une dizaine d’accords.
C’est pendant cette visite que le premier clash avec la jeune ministre chargée des Droits de l’Homme, Rama Yade, a lieu. En réponse à une boutade de Kadhafi qui s’étonne qu’elle soit ministre à 30 ans, elle répond sèchement : «vous avez fait votre coup d’Etat pour prendre le pouvoir alors que vous aviez 27 ans». Ces mots de l’Africaine – c’est comme ça qu’il la voit – ne plaisent pas au Roi des Rois d’Afrique. Ni d’ailleurs à Nicolas Sarkozy qui ne cache pas son courroux dans l’immédiat. Mais le pire viendra.
En décembre 2007, Mouammar Kadhafi, entouré de sa tribu de serviteurs, débarque à Paris le jour même de la célébration de la journée internationale des Droits de l’Homme. Il plante sa tente dans les jardins de l’Elysée et impose son protocole et ses manières à la République française. Ce qui ne plait pas à tout le monde. Au sein du gouvernement, c’est encore Rama Yade qui prend les devants. Elle dénonce cette présence scandaleuse à ce moment symbolique sur le sol français. La presse et les intellectuels prennent le relais.
Nicolas Sarkozy fait la sourde oreille et préfère se consacrer à la réalisation de son projet de l’Union méditerranéenne. Il reçoit Hosni Moubarak d’Egypte, Ben Ali de Tunisie, Bachar Al Assad de Syrie… de tous les dictateurs de la région, Mouammar Kadhafi est le seul qui boude le projet de Sarkozy. Il avait déjà apporté un démenti catégorique aux propos du Président français quand il a affirmé qu’il avait demandé au Guide libyen de faire des efforts dans le respect des Droits de l’Homme. Son hostilité au projet de l’Union pour la Méditerranée a envenimé des relations qui étaient appelées à se dégrader à cause du surdimensionnement de l’égo de l’un et de l’autre des protagonistes. Nicolas Sarkozy ruminera tranquillement sa vengeance.
Février 2011, il répond instantanément à une démarche du philosophe français, Bernard-Henri Lévi, celui qu’il avait surnommé avec mépris «le donneur de leçon du café Le Flore». Le philosophe – le plus sioniste des intellectuels français – introduit le Conseil national de transition (CNT), devanture de la rébellion libyenne. Le Président français s’empresse de reconnaitre cet organisme comme unique représentant du peuple libyen. Il réussit à embarquer la communauté internationale dans ses élans guerriers, à faire payer l’effort de guerre par les monarchies du Golfe, notamment les amis du Qatar. Il détruit la Libye et provoque l’assassinat de Kadhafi le 20 octobre 2011. La disparition tragique de Mouammar Kadhafi a sonné comme un acte salvateur pour Nicolas Sarkozy : à la manière des sociétés cultivant la brutalité, il a mangé l’ennemi ; et du coup il a éliminé un témoin gênant.
On retiendra l’état de déconfiture dans lequel la Libye s’est retrouvé après l’intervention occidentale. On retiendra surtout que la haine, le mépris de l’autre, la rancune sont le pire ennemi des valeurs humanistes, surtout quand ils sont nourris par la soif de pouvoir.