C’est le 25 novembre 1960 que le jeune Etat crée son Armée (loi
60/189). A peine un millier de personnes, des chefs et un encadrement
totalement étrangers. Il faudra attendre le 24 janvier 1964 pour voir nommé le
premier chef d’Etat Major de nationalité mauritanienne, M’Barek Ould Bouna
Mokhtar… Il faut attendre la guerre du Sahara en décembre 1974 pour voir les
effectifs exploser… exploser… de trois à quatre mille, on en vient rapidement à
huit mille.
Mal préparée, l’Armée est incapable de faire face dans une guerre
où le pays parait être le maillon faible et subit pour cela une pression énorme
de la part des belligérants : le Polisario qui revendique l’indépendance,
l’Algérie qui entend faire payer à la Mauritanie sa volte-face et le Maroc,
allié encombrant. Une guerre qui va coûter cher à ce pays qui avait choisi de
ne pas avoir une vocation guerrière.
L’une des plus grandes conséquences de cette guerre sera le coup d’Etat
du 10 juillet 1978 qui est d’abord une réaction de l’Armée qui refuse désormais
de mener une guerre qui ne semblait mener nulle part. Cet acte de «rébellion»
marque le début de l’interférence des militaires dans le jeu politique.
Fortement infiltrés par les groupuscules politiques, les militaires
entament une guerre pour le pouvoir qui va d’abord prendre forme autour du
clivage «pro-algériens» et «pro-marocains», avant de voir se greffer sur ces
divergences toutes les luttes entre factions et lobbies politico-financiers. D’où
l’instabilité qui va marquer la vie politique en Mauritanie jusqu’en 1984.
Quand Moawiya Ould Taya arrive au pouvoir le 12 décembre 1984, il
sait pertinemment que le seul pilier du pouvoir sur lequel il peut asseoir son
pouvoir, c’est l’Armée. Une ou deux tentatives dont sont accusés les
groupuscules nationalistes (négro-africains et arabes) suffiront pour le
convaincre que le mieux pour lui serait de saper justement l’Armée pour
détruire toutes velléités de renversement du pouvoir.
La démocratisation de la vie politique en 1991-92 accélère le
processus de déconfiture de l’institution. L’Armée est réduite à un système
clientéliste et affairiste qui contribue à clochardiser ses éléments et surtout
à diminuer ses capacités. Les bataillons dédiés à la sécurité du chef sont les
seuls à être «normalement» pourvus en équipements (voitures, armes et
munitions). Aux autres, il manque toujours quelque chose.
Quand le GSPC (groupe salafiste de prédication et de combat)
attaque Lemghayti le 4 juin 2005, notre Armée nationale est incapable d’organiser
la contre-offensive. Il lui faut le concours des hommes d’affaires qui
fournissent logistique et équipements. L’une des raisons profondes du coup d’Etat
du 3 août 2005 est à trouver ici.
La transition (août 2005-avril 2007) puis le régime civil (avril
2007-août 2008) n’inscriront pas la réorganisation des forces armées dans leurs
calendriers. Il faudra attendre le coup d’Etat du 6 août 2008 et l’arrivée au
pouvoir de Ould Abdel Aziz, devenu général depuis quelques mois, pour voir les
pouvoirs publics s’intéresser à nouveau à l’institution. C’est l’attaque de
Tourine (septembre 2008) qui les oblige à faire vite et à taper fort.
Le général Mohamed Ould Ghazwani, nommé chef d’Etat Major par Sidi
Ould Cheikh Abdallahi, peut entreprendre la réforme des forces armées. Ayant fait
un passage marqué à la direction générale de la sûreté, passage qui a été l’époque
du démantèlement des cellules (dormantes et éveillées) de AQMI en Mauritanie,
le général Ould Ghazwani fait naturellement de la lutte contre le terrorisme l’objectif
autour duquel la réorganisation et la réforme des forces armées doit se faire.
Formation des hommes et mise en confiance, équipements ultramodernes,
déploiement de moyens financiers, mise en place d’unités dédiées entièrement à
la lutte contre le terrorisme et les trafics… tout y est pour permettre à l’Armée
nationale de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national, d’installer
des points de passage obligatoire et de créer des zones militaires exclusives.
Le 12 juillet 2010 marque un tournant : ce jour-là, l’Armée
mauritanienne réussit à détruire une unité AQMI qui se préparait à attaquer le
pays. L’attaque a lieu sur le territoire malien. La peur change de camp et le
pays peut souffler.
Quand arrivent les évènements du Mali, les Mauritaniens comprennent
que sans l’effort consenti ces dernières années, leur pays aurait été
inévitablement emporté par l’écroulement de l’Etat malien et la perte de son
Nord.
A 52 ans, c’est une Armée majeure qui «a d’autre chose à faire»
(dixit le Président à RFI) que la politique. Notamment sa mission qui est celle
de défendre le pays, de préserver son intégrité et son unité.
«Je crois que les militaires ont autre chose à faire. J’ai
confiance, totalement confiance en l’Armée mauritanienne. Je n’ai à aucun
moment eu de criantes…» C’est ce que le Président Ould Abdel Aziz en
répondant à la question de savoir s’il avait craint un coup d’Etat.
Il a raison de dire ce qu’il a dit. Heureusement
pour le pays.