dimanche 17 février 2013

Ould Wedady, grandeur nature


Cheikh Sidi Abdallah, le présentateur vedette de TVM, l’intellectuel aussi, recevait hier soir Mohamed Mahmoud Ould Wedady dans son émission «Espace culturel». Une première partie sans doute d’une longue série car la vie de l’homme semble raconter le long cheminement d’une Mauritanie qui a – trop vite – changé.
L’ancien journaliste se raconte comme un récit. Avec humilité et précision. Il part d’une Mauritanie, lui l’enfant unique d’une noble famille du Tagant, de la prestigieuse tribu Kounta, pour se retrouver sur le chemin de l’exode… ce n’était pas cet exode que provoque la peur ou la misère. Mais celui que provoque la faim de savoir. La soif des savoirs. De ceux de l’époque : les sciences religieuses, la langue Arabe, la philosophie à travers la rhétorique…
En 1957, il arrive à Boutilimitt, la première «ville» qu’il voit et dans laquelle il va vivre et étudier. Il raconte son voyage, notamment son passage chez Lemhaba Ould Taleb Imigine, un grand érudit de l’époque, une des lumières de l’espace saharien dont la tombe est aujourd’hui vénérée dans le cimetière de N’Dar (Saint-Louis du Sénégal).
Au gré des compagnies les moins attendues, Ould Wedady accompagné de son cousin vient dans la cité qui prend déjà l’allure d’un centre culturel moderne. Avec son Institut des sciences religieuses, le premier établissement de Mauritanie à dispenser un enseignement en Arabe.
Il nous informe qu’il n’y avait pas que des Mauritaniens. D’ailleurs, quand on l’installe dans le carré des siens, il refuse. «Nous cherchions l’ouverture, un autre monde. C’est pourquoi nous avons préféré aller habiter dans l’espace commun à tous les étudiants». La cantine, les enseignants qui restent d’illustres noms comme les Addoud, les Cheikh Sidiya, les Daddah… et bien sûr celui qui le marquera le plus, Mokhtar Ould Hamidoune, le Ibn Khaldoune de notre espace.
Mais c’est quand il raconte le voyage à Dakar par Rosso et Saint-Louis, que Ould Wedady se permet d’aller au-delà du témoignage, au-delà du récit descriptif pour nous expliquer comment, avec la simple introduction d’un concours supervisé par un Français d’origine afghane, le savoir est devenu une source de revenu.
Nous sommes à la fin des années 50 et pour trouver le moyen d’insérer les centaines d’érudits sortants des Mahadras et en même temps moderniser l’enseignement dans la colonie, l’administration avait fait venir un inspecteur de la langue Arabe du nom de Akkary. Il décide de l’organisation d’un examen qui fait passer une sorte de capacité (ou habilitation) à l’enseignement dans les écoles modernes. Les sujets sont souvent des textes de la Nahda, cette époque de renaissance culturelle arabe du 19ème siècle en marge de laquelle la Mauritanie s’est tranquillement tenue.
Ould Wedady explique comment les générations de l’époque avaient dû récupérer le retard grâce notamment aux écrits et surtout au contact avec les syro-libanais vivant dans la colonie du Sénégal. Il n’est pas le seul à nous rappeler que le premier contact avec l’origine fut celui établi avec la diaspora du Sham (Syriens, Libanais, Palestiniens…).
Le futur journaliste avait déjà une grande soif de l’Autre. Ce qui le prédispose à l’ouverture d’esprit qui lui permet de ne pas souffrir l’exil et l’inadaptation. Ce qui lui donne cet air de pureté qui n’est que l’expression d’un intérieur foncièrement généreux et bon. Cet air qui a auréolé les plus de 50 ans de notre univers et qu’on appelait «el waqaar», une sorte de prestance qui est mélange de dignité et d’humilité. Un air qui disparait aujourd’hui que les parcours sont plus compromettant, plus salissant. L’ancien ministre de l’information est passé par le chemin le plus droit pour aller de la tradition, avec ses profonds ancrages, à la modernité, avec ses grandes ouvertures.
Il est tellement rare de voir des hommes pareils en ces temps nauséabonds que ce passage ne pouvait être ignoré. Dont acte.