Par la voix de son «leader»,
l’Institution de l’Opposition Démocratique a annoncé la semaine dernière avoir
introduit un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour Suprême
contre le décret présidentiel nommant la Commission nationale électorale
indépendante. Un acte qui exprime plus la vanité du métier de s’opposer en
Mauritanie et qui sonne comme un baroud d’honneur à quelques mois des élections
législatives qui donneront forcément une autre configuration et donc une autre
Institution que celle d’aujourd’hui.
Il est évident que l’Institution de
l’Opposition Démocratique n’a pas bénéficié de suffisamment de soutien de la
part de la classe politique, encore moins du pouvoir. Elle a plutôt subi le tir
croisé de la part d’acteurs qui lui ont refusé son statut institutionnel.
Un Statut pour éviter le pire
Quand elle est créée en février 2007,
dans l’entre-deux-tours d’une présidentielle risquée, l’Institution de l’Opposition
Démocratique fut présentée comme une action «préventive» visant à éviter les
dérapages postélectoraux. Le souci était de trouver une porte de sortie
honorable pour l’opposition «traditionnelle» représentée par des
candidats comme Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir. La question était
de savoir comment pouvait-«on» les amener à accepter, sans heurts, de
perdre en face d’un candidat sorti de nulle part, n’ayant aucune expérience politique
et dont le seul atout était d’être soutenu par la junte au pouvoir.
Par la création d’un Statut de l’Opposition, on assurait aux perdants
annoncés une présence sur l’échiquier et une participation plus ou moins
effective dans l’exercice du pouvoir. Avec, en prime, ce rang, certes
protocolaire, égal au chef du gouvernement accordé au Chef de file de
l’Opposition démocratique. A l’avance «on» savait qui devait l’être et
qu’est-ce que cela permettrait.
La première mouture du texte du Statut fut rapidement adoptée, sans
concertations préalables. Aucune force politique, à part l’Union des forces du
progrès (UFP), n’a jamais revendiqué l’institution d’un tel Statut. Tous étant
fixés sur l’aspect «normalisation de la vie politique» qu’elle peut permettre.
Au lendemain de l’élection présidentielle qui a vu le Président Sidi Mohamed
Ould Cheikh Abdallahi gagner au deuxième tour, la défaite fut difficile à
consommer. Alors que la victoire enivrait déjà.
«On» mit du temps à mettre en place l’Institution de l’Opposition. La plus
grande difficulté étant de savoir qui fait quoi au sein de l’Institution. Le
Chef de file fut cependant reconnu et installé plus ou moins rapidement.
Suivront des échanges sulfureux entre les composantes de ce qui devait être le
Bureau. Les partis concernés dénuant à Ahmed Ould Daddah ce statut de Chef de file
de l’Opposition démocratique. Ce qui n’empêche pas ce Chef de file de
rencontrer le nouveau Président de la République au moins deux fois durant
l’année de son exercice.
«Ne pas faire de cadeau à Ould Daddah…»
La contestation à l’intérieur et la volonté de limiter «le Statut de Ahmed
Ould Daddah» allait pousser les parlementaires de l’UFP à initier une nouvelle
loi en vue de limiter les pouvoirs et le statut du Chef de file. La nouvelle
loi entend faire du Bureau de l’Institution, non pas de son Chef de file, la
personne morale qui la représente. Le poste de secrétaire général devenait
important et même ceux de membres. Surtout que la gestion d’un budget
conséquent était en cause (ce budget va varier entre 90 et 110 millions par
an). Qui sera quoi ? Nouvelle querelle qui va durer celle-là.
La crise politique qui s’ouvre et qui permet à l’UFP et aux Islamistes
d’intégrer le gouvernement du Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf, atténue
la pression sur l’Institution. C’est Ibrahima Moktar Sarr de l’AJD/MR qui
devient Secrétaire général de l’Institution. Mais on joue déjà les
prolongations d’un match commencé en août 2005. La crise politique est ouverte.
Le 6 août 2008, le Chef de file de l’Opposition démocratique et son parti
le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) préfèrent accompagner ce qu’ils
appellent immédiatement «le mouvement de rectification», traduisant
ainsi la mauvaise relation avec le pouvoir du Président Ould Cheikh Abdallahi.
La crise qui prend formellement fin avec l’Accord de Dakar et l’élection
présidentielle de juillet 2009, va se poursuivre. Empêchant la normalisation
des relations entre les Institutions. Il faut attendre le 19 octobre 2010 pour
voir côte à côte le Président de la République élu en juillet 2009 et jamais
reconnu par ses opposants, et le Chef de file de l’Opposition démocratique qui
n’aura pas cependant droit à faire une déclaration publique à sa sortie
d’audience. Pendant quelques semaines, les deux hommes évolueront côte à côte
au cours de cérémonies officielles successives. Avant de rompre à nouveau.
Arrive la période où la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD),
regroupant l’essentiel des acteurs opposants, se substitue peu à peu à
l’Institution de l’Opposition. Elle permet à tous les leaders d’occuper le
strapontin de la présidence tournante et leur évite d’avoir le Président Ahmed
Ould Daddah comme seul chef. L’Institution de l’Opposition est ainsi jetée aux
oubliettes. Ne subsiste d’elle que le budget et le fonctionnement. Même quand
la COD s’avère dépassée comme structure regroupant l’ensemble de l’opposition
au pouvoir, les partis décident de créer un Forum national pour la défense de
la démocratie (FNDU) au lieu de revenir à l’Institution démocratique légale, l’objectif
premier est de la faire dépasser.
Entretemps, le Statut est réformé pour créer un «Conseil de supervision»
dirigé par un Président issu du parti qui a eu le plus de députés au cours des
dernières élections, avec l’obligation d’être lui-même élu.
Au lendemain des élections de 2013, c’est Tawassoul qui hérite donc de la
présidence de ce bureau avec Al Wiam de Boydiel arrivé deuxième et l’AJD/MR de
Sarra Ibrahima. L’Alliance populaire progressiste de Messaoud Ould Boulkheir a
refusé de faire partie du bureau. C’est naturellement à Al Wiam que revient le
poste de Secrétaire général qui devient Idoumou Ould Abdi Ould Jiyid. Le
Conseil de supervision est composé lui de : Hacen Ould Mohamed
(Tawassoul), Boydiel Ould Hoummoid (Al Wiam) et Soda Wane (AJD/MR).
C’est seulement le 3 novembre 2014, un an après les élections législatives,
que le nouveau bureau est installé par le Conseil constitutionnel.
L’article 7 précise en son alinéa premier : «L’Institution de
l’Opposition Démocratique est dirigée par un conseil de supervision composé des
représentants investis d’un mandat de député, de sénateur ou de membre d’un
conseil municipal des partis politiques de l’opposition représentés à
l’Assemblée nationale. Le rôle de chacun des membres y est défini en fonction
du nombre de députés de sa formation politique». Et en son article 8
(alinéa premier) : «Le Président du Conseil de l’institution de
l’opposition est le représentant désigné de la formation politique qui a obtenu
le plus grand nombre de siège à l’Assemblée Nationale aux élections
législatives générales les plus récentes parmi les partis politiques de
l’Opposition Démocratique. En cas d’égalité de sièges, entre deux ou plusieurs
partis, le critère de départage retenu est celui du nombre de voix obtenus par
la liste nationale de chaque parti».
On pouvait noter l’absence de représentants des partis d’opposition n’ayant
pas participé aux dernières élections. Et, malgré la présence de Tawassoul en
son sein, convenir qu’il s’agissait là d’une contestation ouverte de la
légitimité de l’Institution.
La relance impossible
Le premier défi du nouveau bureau de l’Institution de l’Opposition
Démocratique, était bien celui de la reconnaissance par ses pairs et par le
pouvoir.
Ses pairs ne le reconnaitront jamais. Alors que le pouvoir fera preuve de
défiance arguant que l’Institution de l’Opposition Démocratique n’a finalement
été «qu’une excroissance du parti Tawassoul, épousant parfaitement ses
positions». Et c’est ainsi qu’une seule rencontre aura lieu entre le Président
de la République et le Leader de l’Institution, Hacen Ould Mohamed. Rencontre
au cours de laquelle, il a été convenu de traiter avec le Premier ministre pour
résoudre les problèmes qui se posent à l’Institution. Plusieurs rencontres
entre le Conseil de supervision et le Premier ministre n’ont jamais permis d’aller
au-delà des promesses de «régler rapidement les problèmes posés».
La dernière de ces réunions a eu lieu le 19 mars dernier quand, entouré de
son ministre de l’intérieur et de ses collaborateurs concernés, le Premier
ministre Yahya Ould Hademine a réuni autour de lui les membres du Conseil de
supervision pour discuter des difficultés et faire avancer les choses.
D’abord sur la publication du décret d’application de la loi, celui-là même
dont on a parlé dès 2010. Jamais ce décret n’a été pris par le gouvernement.
Jamais aussi l’Institution n’a bénéficié d’accès direct aux médias publics.
Jamais non plus la situation financière et administrative n’a été
définitivement éludée.
Le 19 mars, le Premier ministre prend l’engagement de signer lui-même le
décret d’application. Ce qui n’a pas été fait. De disponibiliser des véhicules
au Leader de l’Institution. Ce qui n’a jamais été fait. De lui permettre
d’accéder aux informations et aux médias publics. Ce qui n’est pas encore fait
malgré la circulaire du Premier ministre. Même l’ordre protocolaire lui est
refusé.
Certes, le Leader de l’Institution reçoit un salaire équivalent à celui
d’un membre du gouvernement comme le stipule la loi : «Au titre de leur
fonction le Leader Principal de l’Opposition Démocratique ainsi que les membres
du Comité de Gestion, ont droits à des avantages protocolaires et matériels
fixés par Décret.
Pour le Leader Principal de l’Opposition Démocratique, les avantages
matériels ne peuvent être inférieurs à ceux reconnus aux membres du
Gouvernement.
Pour les membres du Comité de Gestion ils ne peuvent être inférieurs à ceux
reconnus aux Présidents des groupes parlementaires.
Les frais de fonctionnement de l’Institution sont pris en charge par
l’Etat.
L’organisation et le fonctionnement de l’Institution sont fixés par décret
pris en charge par l’Etat». Mais le budget de l’Institution diminuant d’année
en année, il ne couvre plus que huit mois de salaires. Alors que sur le plan
politique et donc institutionnel, elle se meurt.
Ce n’est pas du côté des acteurs de l’Opposition qu’il faut se tourner pour
trouver inspiration. Même si en son article 6, la loi dit : «En vue de
garantir leurs droits reconnus et de faciliter l’exercice de leurs activités,
les formations politiques de l’opposition démocratique coordonnent leurs
actions dans le cadre d’une Institution autonome. Cette institution est chargée
de garantir la sauvegarde des intérêts collectifs de l’opposition démocratique
et de faciliter sa représentation au sein des Institutions de la République».
Reste que le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) et avant lui
la COD offraient aux partis l’impression de diriger à tour de rôle et de
s’éviter le diktat de quelques-uns.
Jamais la question de l’Institution ou du Statut de l’Opposition n’a fait
l’objet d’un débat au Parlement, ni au sein des formations politiques faisant
ou non front. Les acteurs politiques font à présent comme si elle n’existait
pas.
Pourtant… elle doit exister.
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