Les
récentes affaires qui ont secoué le ministère des finances et le système
bancaire donnent l’occasion au Président Mohamed Ould Abdel Aziz de réaffirmer
sa volonté déclarée d’engager une lutte sans merci conte la gabegie. Cette lutte
commence naturellement par l’assainissement du système financier.
On
voit, à travers la succession d’interpellations dans le milieu des percepteurs,
que les pouvoirs publics sont dans la phase de mise en œuvre d’une opération coup
de poing qui demande du courage, de la détermination, de l’équité, et, bien
sûr, une volonté politique soutenue et inébranlable. Les limogeages dans la
haute administration et les interpellations suivies ou non d’inculpations ne
suffisent pas à elles seules. Les enseignements tirés du contrôle et des
inspections doivent être lisibles (et visibles) pour prétendre à un soutien
populaire à la politique engagée contre la mauvaise gestion sous toutes ses
formes.
Il
faut rappeler que la demande sociale en matière de lutte contre la gabegie
n’est pas évidente. Même si elle découle d’une attitude logique qui doit être
celle de tout humain «normal», ayant grandi dans un univers qui bannit
le vol et l’indélicatesse sous quelque forme que ce soit, cette attitude n’est
pas le fort de notre encadrement national (société politique, notabilités
traditionnels, chefs religieux, élite en général). Il suffit de voir les
soutiens apportés aux auteurs de malversations par les partis politiques, les
segments entiers de notre société bienpensante, de pans de l’élite… Ces
soutiens donnent aux prédateurs l’air de héros des temps modernes. Tout ça
parce qu’entre l’exigence d’assainissement et la demande sociale et politique,
il y a un hiatus difficile à passer.
En
attendant, il est utile de rappeler ce que nous écrivions il y a quelques
semaines, quand les premiers trous ont été découverts dans les
perceptions de l’intérieur. On concluait que le système de prédation dans les
finances avait fini par prendre l’allure de réseaux maffieux qui ont profité de
l’absence de contrôles et d’inspections professionnelles. L’absence d’auditeurs
au sein de la direction du Trésor y est pour beaucoup. Et ce ne sont pas les
auditeurs de l’Inspection générale d’Etat qui vont combler le déficit : en
fait ils ne voient que ce qui est évident. Ils ont eu quand même le mérite
d’avoir été à l’origine des actions d’assainissement, mais il faut, pour aller
plus au fond, renforcer, instituer s’il y a lieu, le contrôle interne. Parce que
toutes les perceptions inspectées ont été mise à défaut.
Dans
toutes les situations de dérapages découvertes ces derniers temps, il est
évident qu’il y a eu négligence de la part de la hiérarchie, à tous les niveaux.
Quand une petite commune comme Jidrel Mohguen (Rosso, Trarza) affiche plus de
120 millions de recettes en un exercice, il y a lieu pour toute la chaine de la
hiérarchie de se poser des questions et d’émettre des doutes. Donc de donner l’alerte
immédiatement. Au lieu de cela, on a continué à satisfaire les demandes de
provisionnements exprimées par les percepteurs sans se poser des questions.
Pendant
des années, des situations comme celle-là ont été enregistrées partout en
Mauritanie : des communes dont le budget dépasse rarement les deux
millions et qui se retrouvent avec un niveau de recettes exorbitant. Deux explications
à cette situation : 1. C’est une manière pour les percepteurs de
réorienter les dépenses des fonds destinés aux différents plans d’urgence pour
justifier leurs affectations. 2. Le percepteur ayant la latitude de produire
lui-même des carnets pour prélever taxes et amendes, il en abuse sans que cela
se traduise sur les écritures officielles du trésor public.
Ici
apparait la responsabilité pécuniaire du percepteur, une responsabilité pour
laquelle il paye en s’expliquant devant la police financière puis en allant
devant une juridiction et probablement en prison. Mais il y a une
responsabilité technique qui doit aussi être identifiée pour payer ses
manquements. Sans l’indulgence, la négligence et la bienveillance (complicité,
diront certains) de la hiérarchie, le fauteur aurait sévi une fois peut-être
mais la prédation n’atteindrait jamais les proportions qu’elle a atteint. Il y
a aussi la responsabilité politique qui est engagée. Nous savons tous qu’une
partie des fonds amassés frauduleusement va dans l’entretien de couvertures
politiques (hommes influents qui protègent, dépenses inconsidérées pour le
Parti au pouvoir, clientélisme tribal, régional et local, entretien des
services régionaux et ceux de renseignements…). La main de l’Etat doit aller là
où est passé l’argent de l’Etat suivant une procédure frauduleuse.
La
responsabilité technique et politique n’est jamais dégagée, même si l’on doit
considérer que les derniers limogeages au sein des Finances répondent justement
à cette exigence-là. Mais ce n’est pas suffisant pour créer une forte adhésion
autour de cette guerre contre la gabegie dont on veut faire l’axe principal du
mandat en cours. Il faut plus pour dissuader les cercles et les réseaux de
prédation qui se greffent autour des dysfonctionnements de l’administration.
La
maitrise des flux au niveau des dépenses doit s’accompagner d’un contrôle total
des recettes par l’émission de carnets uniques de quittance pour les différents
démembrements de l’Etat pour s’assurer que toute la collecte va dans les
caisses du Trésor public (communes, Autorité de transport, amendes…).
L’assainissement du secteur exige une mise à terme de
la règle de l’impunité. On devra payer à tous les niveaux de responsabilité son
indélicatesse, sa négligence et sa protection du Mal.