vendredi 29 août 2014

Un ministre, cela peut dire quelque chose

Quand Emmanuel Macron est nommé ministre de l’économie en France en remplacement d’Arnaud Montebourg, cela veut dire quelque chose, cela mérite d’innombrables commentaires, des analyses de tous les milieux…, parce que cela annonce un coup de barre à droite (ou au centre, en tout cas pas à gauche). A mi-mandat, le Président François Hollande préfère rassurer les capitaux et la finance sur ses choix économiques pour l’avenir.
En Mauritanie remplacer un ministre par un autre ne peut rien vouloir dire. Parce que les ministres n’ont pas de capacité de proposition et s’ils en ont, ne sentent pas qu’il leur est demandé d’en avoir. C’est ce qui fait qu’un changement de gouvernement arrive sans vouloir dire grand-chose. C’est aussi ce qui explique que dans le mental des Mauritaniens, seul le statut de Président de la République a un sens. Il est le seul à fixer les politiques à entreprendre, à diriger leurs mises en œuvre, à surveiller leurs exécutions… A part le Président de la République, il n’est demandé à personne d’avoir une vision et des projets à mettre en œuvre.
Que le ministre mauritanien soit de la frange des politiques ancrés à gauche, qu’il soit nationaliste (arabe ou négro-africain), qu’il soit conservateur, islamiste ou autre son exercice sera toujours le même que son prédécesseur. Comme lui, il fera semblant d’attendre que les ordres viennent «d’en haut», il invoquera ce «en-haut» pour expliquer et justifier ses faiblesses et ses manquements. Un ministre chez nous ne peut même pas servir de fusible à son patron (Premier ministre ou Président). Parce que, toute son énergie sera déployée pour se déresponsabiliser face à l’opinion. Toute la gestuelle, toute la litanie sera déployée pour présenter comme celui qui subit, «qui est obligé de se plier», «qui n’est pas écouté» et à qui «on impose tout».
En Mauritanie, nous n’avons jamais vu un ministre diligenter un processus de réforme par lui-même. Aucune loi ne porte le nom d’un ministre pour signifier la paternité de cette loi. Aucun ministre n’est jamais sorti des sentiers battus. C’est vous dire qu’un ministre chez nous refuse encore d’assumer sa responsabilité.
Le mal ne concerne pas seulement les individus. Il provient aussi de l’inaptitude des partis politiques à se définir clairement, à avoir des projets propres à eux, fruits d’une réflexion et de débats longs et riches. Il suffit de lire leurs textes fondamentaux pour se rendre compte de la ressemblance entre eux. Ce qui fait que le jeu politique chez nous se limite jusqu’à présent à la démarcation entre ceux qui appartiennent au camp du Pouvoir et ceux qui s’opposent à lui. Les premiers essayant de préserver les privilèges découlant du soutien à celui qui exerce le pouvoir. Les seconds cherchant à prendre leur place. La faute de l’Opposition en Mauritanie, c’est qu’elle n’a jamais pu constituer un projet alternatif. Elle a toujours été perçue comme la deuxième face d’une pièce de monnaie : autant garder la face qui s’impose déjà.
Quand en 2009, un gouvernement d’union nationale a été mis en place pour diriger une nouvelle période transition (un mois), on a vu les choix des différents partis. On a vu le FNDD (front de défense de la démocratie, fer de lance de l’Opposition de l’époque, pépinière de cadres sérieux) choisir comme ministre quelqu’un qui était déjà membre d’un directoire de la campagne du candidat Ould Abdel Aziz. Tellement ce n’était pas important pour eux.
C’est bien la capacité de proposition qui fait défaut à nos politiques prompts à la critique stérile. Les discours que nous entendons aujourd’hui expriment plus ou moins explicitement l’espoir de voir un changement violent intervenir en Mauritanie. Que cela prenne la forme d’un coup d’Etat, ou d’une révolution populaire ou même d’une action violente visant à atteindre la personne du Président de la République, importe peu : le seul espoir pour ceux qui ne font rien pour changer le Monde, c’est de voir le ciel leur tomber sur la tête.
Ce désespoir est bien le résultat de la vacuité des projets, donc de l’incapacité à mener à bien la réflexion qui peut faire aboutir les objectifs cachés ou déclarés. Depuis 1992, le personnel politique court derrière les événements. Sans pouvoir reprendre l’initiative, encore moins repréciser et recadrer les intentions.

Par où commencer ?