La
recrudescence des actions militaires de la secte Boko Haram oblige les Etats de
la région à mettre en œuvre une stratégie commune d’endiguement voire de
destruction de cette organisation. Si le Tchad envoie ses troupes au Cameroun
et au Nigéria, c’est bien parce qu’il voit la menace que fait peser sur son
existence le développement de Boko Haram. Alors il faut contenir cette secte
dans ses frontières et ses dimensions actuelles et chercher ensuite à
l’étouffer.
Mais
le Tchad prend beaucoup de risques en s’engageant de la sorte. En effet le pays
se trouve pris entre trois foyers de tension : cette menace du Sud qui
vient de Boko Haram, celle du Nord qui vient de la Libye et celle de l’Ouest
(Nord-Ouest) qui vient de l’espace saharien, à travers le Niger à partir du
Mali. Ces trois foyers cherchent fatalement à faire jonction pour plonger la
région ouest-africaine dans un chaos similaire à celui qui prévaut actuellement
au Moyen-Orient. Dans un deuxième temps, la jonction avec les Shebabs somaliens
et les ilots d’instabilité en Centrafrique, permettra de créer cet arc de feu
qui pèsera alors sur le devenir du Monde. Par les menaces directes sur les
théâtres européens, sur les mers et océans de la région, sur les gisements de
pétrole et d’autres minerais précieux…
Si
l’un des pays - le Tchad ou le Niger - s’écroule, c’est toute la région qui
sera mise à feu et à sang. Les stratèges le savent, mais ils sont de moins en
moins entendus. On leur préfère les quelques «spécialistes de la question du
terrorisme» constamment sollicités par les médias. Ceux-là s’en tiennent à
des considérations qui ne sont plus à l’ordre du jour. En effet, comment
continuer à voir dans la menace Da’esh, le seul aspect danger pour
l’Europe ?
Da’esh,
comme nous le disions dans un posting précédent, articule sa stratégie autour
de la terreur et du chaos. Nous voyons comment elle a fait en Irak et en Syrie,
mais aussi en Libye où tout se passe plus ou moins dans le noir. On assiste,
depuis peu, à un début d’activité en Egypte, notamment dans le Sinaï. Un
premier groupe a fait allégeance à Da’esh depuis l’Algérie. Un autre a été
démantelé au Maroc.
Cette
phase de constitution se manifeste par des actions d’éclat dont l’objectif est
de déstabiliser les régimes en place, de les amener à réagir violemment et
probablement aveuglément. Ce qui est recherché ici, c’est l’allégeance des
populations.
En
Irak, en Syrie et dans toute cette région, Da’esh a trouvé dans les conflits
religieux un argument séduisant qui en fait le protecteur des Sunnites face à
la menace des Chiites et des minorités religieuses, nombreuses dans la région.
Dans
l’affaire du pilote jordanien, les médias nous ont peu renseignés sur ces
populations qui ont refusé de s’associer à la douleur officielle : dans
certaines villes de Jordanie, il n’y a pas eu de prière de l’absent et on a
même hissé le drapeau de l’organisation jihadiste. On occulte aussi les
complicités dont les terroristes bénéficient au Sinaï et dans d’autres pays.
Pour éviter de donner un ancrage populaire à cette organisation.
Faire
la jonction entre les théâtres libyen, malien et nigérian participerait à
diminuer la pression exercée actuellement sur Da’esh par la coalition
internationale dirigée par les Américains en Irak et au Levant. Elle élargirait
le champ du chaos et donnerait des chances d’exister à un Khalifa islamique
nouveau.
La
coalition internationale, réunie à la hâte sous la houlette de Washington, a
opté pour la force. Détruire l’organisation en ciblant ses hommes et sa
logistique. A terme, cette stratégie ne peut être efficace. C’est la guerre
contre Al Qaeda qui a donné Da’esh et ses avatars. Les frappes malheureuses ont
occasionné des dommages collatéraux énormes, ajoutant aux frustrations
existantes, ravivant les haines vis-à-vis d’un Occident oppresseur et
boulimique (de pouvoirs et de richesses).
Il
est peut-être temps de se reprendre pour engager de nouvelles approches dans
chaque pays (ou dans chaque espace culturel). Il est temps de comprendre que
si, pour l’Occident, extirper le Mal par l’exercice de la violence
aveugle (parce que totale) est possible, pour les pays musulmans et leurs
sociétés, le Mal doit être contenu, couvé pour être combattu
efficacement. Bien sûr que cela nécessite des politiques de développement
économique, social et politique. Cela nécessite surtout un engagement réel des
institutions religieuses et de la société civile, une mise à contribution de
ces institutions et des acteurs sociaux pour faire la promotion de relectures
du fonds religieux dans lequel puisent les promoteurs de cette violence pour
légitimer leurs actes.
Il
faut domestiquer la violence et les relents de violences, pas les
provoquer et les nourrir. Dans notre espace sahélo-saharien (ou
nord-ouest africain pour être plus complet), nous craignons le pire pour nos
Etats, nos sociétés, nos fondements culturels et religieux. Ce n’est pas la
guerre à elle seule qui peut arriver à bout de la menace. Seule l’éducation
peut renverser cette tendance de faire de la violence la seule arme qui vaille
face à l’Autre. Revisiter les textes, engager les exégètes modérés, faire la
promotion des valeurs universelles qui sont aussi celles de l’Islam (notamment
en matière de respect de la vie), aller sur le terrain apporter la
contradiction à ceux qui embrigadent les esprits affaiblis… En même temps
apporter des réponses et des solutions aux problèmes posés aux populations,
combattre les inégalités, la pauvreté endémique, l’injustice… libérer les
énergies, la parole, les actes… protéger les plus démunis, les assister,
prendre en charge leurs préoccupations…
Démocratie et développement comme cadre général. L’éducation comme outil
principal.