Timbuktu. Le chagrin des oiseaux. C’est le titre du film que présente
notre compatriote Abderrahmane Sissako au prestigieux Festival de Cannes en France.
Avec ce film, il montera enfin les marches, ce qui est déjà une reconnaissance
du talent de ce réalisateur extraordinaire. Une consécration aussi pour cela
qui a longtemps flirté avec Cannes sans pouvoir y aller en officiel et en «concourant».
En 1993, il a accepté dans la
sélection officielle «Un certain regard» du Festival, sélection destinée
à promouvoir le cinéma qui se fait sans gros moyens et avec énormément de
talents et qui raconte des histoires venues d’ailleurs. Octobre, c’est
le titre du film, raconte l’amour impossible entre une Russe et un Africain.
Puis en 2006, Sissako présente Bamako
hors compétition à Cannes. Ce film est une révolte contre le diktat de la
Banque Mondiale qui y est décriée comme la source des grands problèmes de l’Afrique.
Le cinéaste a tout simplement donné la parole aux populations pour en juger.
Mais la relation avec les festivals
commence pour Sissako en 1991 avec Le jeu qui fait une entrée remarquée
au Fespaco de Ouagadougou. Le succès est relatif parce qu’il est finalement
acheté par Canal+ (c’est son argent qui sert à tourner Octobre. C’est
bien au Fespaco qu’il signe son plus grand succès avec En attendant le
bonheur (Heremanco) en 2003 où il obtient le grand prix Etalon
de Yenenga qui est la plus haute distinction du festival du cinéma
africain.
Refusant de verser dans la facilité,
le cinéaste se refuse à produire la fiction pure, peut-être parce que les
réalités africaines sont déjà assez émotives pour créer cette communion entre
le public et le produit artistique, nécessaire à tout succès du cinéma d’aujourd’hui.
Ce succès dépend d’abord de la capacité du récit à rendre l’image et tout l’accompagnement
technique (cadrage et reste), à en faire un langage universel qui parle aux cœurs
et à la Raison. D’où ces notes de réalisme, ce soucis de coller à la réalité
des événements relatés, tout en suggérant l’affection, la mélancolie, l’émotion
provoquée par le beau… Des fresques qui vous font voyager tout en vous
rappelant toutes les misères du Monde.
En attendant le bonheur a servi à fixer les désillusions d’un
jeune mauritanien qui, après des années d’exil et de séparation, retrouve les
siens dans des conditions de vie difficile. Bamako, c’est le procès à la
Banque Mondiale et à l’Ordre mondial inique. Aujourd’hui, avec Timbuktu. Le
chagrin des oiseaux, Abderrahmane Sissako raconte certainement – je n’ai
pas vu le film – le destin tragique d’une ville qui a été la splendeur de l’espace
sahélo-saharien avant de devenir le fief d’une idéologie qui se fonde sur la
négation de la vie. Timbuktu, une ville-martyre, abandonnée peu à peu,
puis brutalement à son sort. Destruction des monuments historiques dans une
(vaine) tentative de nier cette Histoire pleine d’enseignements allant à l’encontre
de toutes les lectures et postures des apostats qui se revendiquent pourtant de
la Religion. Répression de toute émotion chez une population oubliée de ses
frères, de ses amis, de ses semblables… Plus le droit de sortir, de fumer, de s’aimer,
d’apprendre, de chanter, de danser, de manifester, de parler librement, même de
parler sans rien dire…
Comment l’une des merveilleuses cités
de l’Islam médiéval, l’un de ses plus grands centres culturels ayant rayonné
sur le Monde, l’un des trésors de l’Humanité a-t-il été pillé, comment a-t-il
été abandonné, comment ses populations ont-elles vécu le drame de l’occupation… ?
beaucoup de questions qui pourront rester sans réponse mais qui auront le
mérite d’être reposées. Cette fois-ci avec la force de l’art.