C’est
au cours d’un débat entre journalistes sur Al Mourabitoune que la question a
été soulevée. A quoi sert la politique ? à prendre le pouvoir ? à
participer aux affaires de la cité ? à concevoir les meilleures conditions
pour la réalisation du bien commun ? à établir un contrat ou des règles reconnues
par tous en vue de parvenir à des équilibres dans la conduite des affaires
publiques ?
Au
tout début était la question de savoir qu’est-ce qui a manqué à notre élite
politique pour imposer un processus démocratique plus ou moins acceptable et
consensuel. Pour répondre à cette question, on peut axer sur le seul aspect exercice
du pouvoir et donc sur ses modalités (élections). Pour expliquer que notre
élite n’a jamais eu les éléments du jeu entre les mains, qu’elle a dû subir
la brutalité du pouvoir militaire chaque fois qu’elle a cru être au bout du
processus. C’est faire preuve d’indulgence vis-à-vis de cette élite qui n’a
jamais rien essayé depuis la première décennie de l’indépendance.
A
l’époque, contre vents et marées, l’élite a bien eu pour ambition
d’asseoir les fondements d’un Etat égalitaire, citoyen, moderne, pacifique et
ouvert. Elle a réussit plus ou moins.
Plus
quand il s’est agi d’imposer un Etat dans un environnement hostile où les
ennemis de l’intérieur étaient plus actifs et plus dangereux que ceux de
l’extérieur. Plus aussi quand le jeune Etat a pu imposer des règles
générales à tous et à se faire accepter par les élites traditionnelles
(féodales). Plus enfin quand le jeune Etat est devenu un acteur de la
scène internationale.
Moins
sans doute pour ses incapacités à éradiquer les tares d’une société
profondément inégalitaire et donc injuste. Moins aussi quand le pays a
été incapable d’instituer le pluralisme et d’incarner la pluralité. Moins
enfin quand le jeune Etat s’est laissé enivré par ses succès relatifs et a cru
qu’il était assez fort pour mener une guerre qui ne se justifiait pas.
Mais
depuis la première décennie, qu’a fait l’élite politique mauritanienne ? Un
constat nous permettra peut-être d’en savoir plus.
En
mars 2007, le pays connait sa première élection présidentielle consensuelle,
plus ou moins régulière. Sur les 19 candidats, deux sortent du lot et doivent
se faire face pour un second tour : Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et
Ahmed Ould Daddah. Deux hommes qui ont tous deux appartenu au dernier
gouvernement de Mokhtar Ould Daddah, celui qui a été renversé le 10 juillet
1978. Deux hommes connus pour être des technocrates et non des politiques. Même
si pour Ould Daddah, l’entrée en politique date de 1991 (décembre), on peut
estimer que les deux hommes sont entrés dans le champ politique par accident
(si ce n’est par effraction).
On
peut en tirer deux conclusions : soit que la nostalgie était si forte que le
peuple a voulu restaurer ce qui restait du pouvoir de Mokhtar Ould
Daddah ; soit que toute l’action politique des mouvements et groupuscules
qui ont animé la scène trois décennies durant, n’a pas permis de faire sortir
du lot un homme capable de provoquer l’adhésion du plus grand nombre. Dans
l’une comme dans l’autre des conclusions, c’est bien un échec avéré du
personnel politique.
Si
l’on suit l’actualité, rien que depuis 1992 (la première élection
présidentielle pluraliste), on se rend compte que le personnel politique a
toujours couru derrière les événements. Que la capacité d’initiative a été
nulle. Une excuse et une explication.
L’excuse,
c’est que les formations sont profondément infiltrées par les services de
renseignements et que les acteurs subissent des pressions sociales et politiques
énormes. L’explication, c’est que les acteurs sont pour leur écrasante majorité
obnubilé par l’exercice du pouvoir et le profit qui peut en être tiré. Une
conséquence aussi : les acteurs politiques ne voient pas venir les
événements, ils sont alors obligés de se contenter de réagir. D’où cette
propension à toujours reconnaitre les putschs qui surviennent et qui arrivent à
un moment où les forces politiques sont lessivées par des querelles de
positionnements qui les empêchent de voir clair.
Mais
plus grave encore : notre démocratie a besoin de démocrates. Sommes-nous
prêts à concéder une once d’attention, un sacrifice minime pour nous permettre
de nous écouter les uns les autres, de trouver entre nous un terrain de convergence ?
Avons-nous justement une idée claire de ce terrain de convergence vers lequel
nous devons nécessairement évoluer ? Quelle conception avons-nous de la
démocratie en général et de notre devenir commun ? Laissons-nous une place
pour l’autre et quelle perception justement avons-nous de l’autre ?
Il
faut rappeler que l’élite politique actuelle a été formée à l’école du monolithisme
(Parti unique, mouvements identitaires, totalitaristes…). Que ce que nous
voulons exiger en termes d’alternance pacifique au pouvoir est une notion
étrangère à la culture qui est la nôtre. Qu’il s’agit donc d’un apprentissage, long
et ardu, qui demande patience et sacrifice.
Chaque
fois que vous demandez à notre intelligentsia de réfléchir à l’avenir, de
chercher à le concevoir et à le réaliser dès à présent, vous êtes l’objet d’un
lynchage public. Une façon de cacher le désarroi face à l’avenir devant lequel
on se sent incapable. Quand on refuse de se projeter pour anticiper sur les
événements à venir, on annihile toute capacité de progrès. On se condamne à l’inertie.
Et c’est ce qui nous arrive.
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