D’abord
l’ârdine, avec un flux intense, sans agressivité cependant, sans violence aussi…
juste une série de sonorités qui vous transpercent… doucement… pas lentement,
mais doucement… qui vous transportent… La voix de Maalouma arrive pour vous baigner dans l’univers du plus romantique
des poètes amoureux de l’espace Bidhâne,
M’hammad Wul Ahmed Youra, le génie
de tous les temps de cet espace…
«shmeshâna wu shga’adna/âana wunta hawn uhadna
yal ‘agl ‘la daar Inzdna/giblit sâhil
wâd Hnayna…»
Pendant
qu’on s’oublie dans la méditation de ce dialogue que le poète entreprend avec
son âme ingrate parce que voulant quitter ces lieux sans se donner le temps de
pleurer le bonheur ici vécu, sans se souvenir pour rendre aux lieux quelques
bribes du bonheur d’antan, en signe de reconnaissance…
…«mâ vit âna wunta lathnayn/viddâr g’adna wu
bkayna
wu tmathnayna viddâr ilayn/min haq
iddâr tnajayna»
Comme
pour venir en écho au poète Lamartine
qui, lui, interpellait le temps qui passe :
«Eternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous
engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces
extases sublimes
Que vous nous ravissez ?»
(Le Lac)
On
est perdu dans la comparaison des approches dans l’expression du bonheur perdu…
en pensant que M’hammad a
voulu faire de ce temps (qui n’est pas perdu pour lui), un espace qu’il vénère
et pour lequel il exprime une profonde gratitude… Lamartine qui s’en prend à «ceux»
qu’il croit responsables du vol de son bonheur…
Et
dans tout ça, la voix douce et mélancolique de Maalouma… On suffoque sous l’emprise de la complainte quand,
soudain sortent les sonorités de la tidinît de Mokhtar Wul Meydah, le père de Maalouma…
Il joue sa célèbre partition «Gwoyridh»…
«dent-daan-denna-det-denadenadenna-den…»
Une
voix unique en son genre. Un jeu unique d’une tidinît unique… On plonge dans le
passé… au sens de l’ancrage, du retour aux sources, de l’immersion dans l’Originel,
de la restauration de l’Authentique, de la reprise du chemin perdu, celui de la
création et de l’innovation…
Retour
à Maalouma, à l’ârdîne et à la
poésie de M’hammad… le moment
de flottement qui devrait se comparer avec celui de l’ivresse… qui met les sens aux aguets… tous les sens… quand arrivent les voix d’un chœur chantant un
rap des plus modernes… avec des mots qui célèbrent la vie et qui donnent espoir…
Silence.
Méditations. On est encore sous les effets de cette magie qui associe ancien,
moderne et postmoderne dans une harmonie parfaite…
«Gwoyridh» est un élément d’un
ensemble, celui du nouvel album de Maalouma
Mint el Meydah et qui porte le nom évocateur de «Knou», ce rythme si apprécié par les connaisseurs de la musique
traditionnelle qu’ils ont souhaité l’entendre joué dans tous les modes. Certains
le jouent dans le Vaghu de la Jamba el Kahla (la Voie noire),
dans le K-hâl de la Jamba el baydha (Voie blanche),
d’autres ont créé «knou el vayiz»
dans le Sayni-karr… chacun y allant
de ses petites variations pour célébrer ce rythme destiné à faire danser les
plus belles femmes présentes. Car pour danser Knou, il faut répondre à un minimum de conditions physiques qui
sont pour le rythme, déjà fantastique, une sorte d’ornements supplémentaires…
J’ai,
comme Maalouma, le souvenir de la
première femme, épouse d’un fonctionnaire affecté au milieu des années 60 à Mederdra, qui dansait le Knou dans cet environnement-là. Je la
vois encore envoûter le public qui n’avait pas l’habitude de voir les femmes
danser debout… Je crois que ce sont bien les prestations de cette femme-là qui
ont causé une nette évolution dans le milieu de l’Iguidi, libérant notamment les femmes des appréhensions qui
pesaient pour les empêcher d’occuper la scène de la danse. Comme quoi…
L’album
de Maalouma sort en début d’année
2014. Il fera date parce qu’il va signer l’arrivée à maturité d’un style, celui
de Maalouma. Un style devenu école
malgré les hostilités des premières heures.
Quand
l’école initiée par Maalouma mûrit,
elle revient fatalement aux premières sources de ses inspirations : son
père Mokhtar, sa tante Nîla Mint el Boubâne, ses premiers
amours musicaux occidentaux et arabes… En somme, un ancrage dans la Tradition
résolument ouvert à la Modernité. Qui dit mieux ? (qui fait surtout mieux ?)
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