Il n’est pas question ici de revenir sur le déroulé des évènements
du 3 août 2005. Nous savons depuis le début que l’acte était pensé et mis en
œuvre par deux jeunes officiers – Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould
Ghazwani – qui ont dû recourir aux ainés d’une part pour faire passer le coup
auprès de l’encadrement de l’Armée constitué essentiellement de vieux
des comités militaires qui ont régné avant la démocratisation de 1992 et
d’autre part pour rassurer l’establishment bien implanté dans les articulations
du système.
Sur quand est né l’idée, nous savons désormais qu’elle a commencé à
germer avec la répression qui a suivi la deuxième vague d’arrestations des
sympathisants et parents des Cavaliers du Changement en août 2004. Les
conspirateurs seront bousculés par les suites données à l’attaque de Lemghayti
le 4 juin 2005. Cette agression déséquilibre militairement et surtout
mentalement la tête du pouvoir. Les officiers doivent faire vite et le
déplacement du Président en Arabie Saoudite est une occasion rêvée. Le reste
suivra…
Mais le projet des jeunes officiers est vite compromis par les
manœuvres dilatoires des pontes de l’establishment politique qui n’hésitent pas
à manipuler, à instrumentaliser certains leviers du pouvoir pour faire de la
transition et des offres de neutralité et de changement une simple promesse
sans fondements sérieux.
L’appel au vote blanc lors des présidentielles de 2007 est une
ultime tentative justement de déstabilisation et de remise en cause du
processus. L’échec des forces centrifuges à perturber le processus à ce niveau,
est vite pallié par la récupération réussie de ce qui sort des urnes.
Les manœuvriers politiques qui ont acquis un grand savoir-faire en
matière de manipulation du pouvoir, arrivent à faire main-basse sur la
présidence avant d’engager une bataille entre l’aile civile et celle militaire
du pouvoir du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. De maladresse en
maladresse, on arrive à la crise ouverte qui aboutit au limogeage des
principaux responsables militaires puis au coup d’Etat qui n’est finalement
qu’une étape du processus de la guerre ouverte entre les deux segments du
pouvoir en place.
L’Accord de Dakar qui devait mettre fin à la crise politique n’est
pas l’occasion de revenir sur les refondations engagées avec la transition de
2005-2007. Rien de cette période ne sera retenu. D’ailleurs, le pouvoir issu
des élections s’acharnera contre cette transition et contre ce qu’elle a
apporté de neuf et de nouveau. Comme si le souci premier de la classe politique
était de maintenir le statu quo ante. Celui d’une scène où la passion l’emporte
sur la raison et où les vrais problématiques du développement et de la
démocratie sont occultées par les polémiques autour de la légitimité et de la
légalité des uns et des autres. La recherche effrénée d’arrangements politiques
va faire oublier aussi la nécessité pour l’élite politique de préparer l’avenir
et d’asseoir les règles fondamentales de la démocratie : pluralisme,
dialogue, ouverture, institutions efficientes… tout ce qui peut rétablir la
confiance entre acteurs d’abord, ensuite chez le commun des Mauritaniens
vis-à-vis du politique.
En dix ans, la Mauritanie aura fait de réelles avancées. Quoi qu’en
disent les détracteurs du régime actuel, la liberté d’expression aujourd’hui
n’a rien à voir avec l’avant 3 août 2005 ; avancée aussi sur le plan de la
gouvernance économique avec notamment une meilleure gestion et une meilleure
affectation des ressources ; affirmation plus forte des fondements de
l’Etat citoyen (avec notamment la criminalisation de l’esclavage et le
règlement même partiel de passifs qui ont lourdement pesé sur la cohésion
nationale…) ; sécurisation des frontières et remise aux normes des forces
armées nationales ; retour sur l’échiquier régional et international du
pays…
Le 1er août 2005, je résumais ainsi la situation du
pays : «Il y a 27 ans, l’Armée prenait le
pouvoir pour «mettre fin au régime de la corruption», nous sortir d’une
guerre coûteuse, redresser l’économie et engager un processus démocratique
réel. 27 ans après, la corruption est devenue la valeur première, nous entrons
dans une guerre qui n’est pas forcément la nôtre, l’économie ‘nationale’
n’existe plus pour être redressée et la démocratie reste une utopie pour nous.
C’est essentiellement pour cela que nous craignons un autre coup d’Etat, un
autre retour de l’Armée aux devants, d’autres promesses de lendemains meilleurs» (La Tribune N° 266 du 1er août 2005).
Regarder d’où l’on vient n’empêche pas de porter un regard critique
sur l’après-3 août 2005. D’abord sur l’incapacité à apaiser les rapports, à
rétablir le principe de la concertation pour mener la société – et le pays –
vers plus de convergence, plus d’ouverture, plus d’implication des acteurs
sociaux et politiques. Ensuite la promotion du mérite et l’abandon total et
définitif des choix sur des bases subjectives tantôt d’origines, tantôt
d’accointances. Enfin le renforcement des Institutions par le respect
scrupuleux des textes et règlements en vigueur.
Pour conclure, ce rappel à l’ordre du dramaturge allemand Berlolt
Brecht :
«Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder
Bêtement. Agissez au lieu de bavarder
Voilà ce qui a failli dominer le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison.
Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :
Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la chose immonde»
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