Je suis appelé en catastrophe par quelqu’un pour me dire qu’un
jeune médecin – un ami malgré la forte différence d’âge – est arrêté par la
police dans le cadre de l’enquête sur ce jeune habitant du Brakna disparu dans
des conditions non encore élucidées. Le médecin l’aurait soigné. Quand j’arrive
au commissariat de Tevraq Zeina, je suis frappé par la gentillesse des policiers
qui tiennent à rappeler qu’ils sont juste en train d’obéir aux ordres de la
Justice. On m’explique que le médecin a soigné l’individu sans réquisition.
J’objecte qu’en général, quand on est aux urgences, on reçoit des malades qui
nécessitent une intervention rapide et qu’il est difficile de demander un
médecin de faire fi de son éthique et de sa déontologie en refusant de soigner
un malade parce que celui-ci n’aura pas produit une réquisition de la police.
J’apprendrai plus tard que le cas est beaucoup plus compliqué que l’on peut
penser.
La disparition du jeune a provoqué un grand remous dans le Brakna
où ses parents, assisté par un élu (député) ont accusé les habitants du village
de Niabina d’avoir assassiné leur fils. Ils ont même produit des témoins pour
dire qu’ils ont vu le jeune entrer dans le village après avoir abandonné sa
monture à l’orée des premières maisons. L’interpellation par la Gendarmerie de
quelques quatre habitants permettra toute de suite aux autorités (gendarmerie
et administration) de soupçonner une fausse alerte. C’est pourquoi, il n’y aura
pas de suite immédiate aux accusations, heureusement d’ailleurs. Mais la rumeur
aidant, la thèse de l’assassinat du jeune «qui avait un million d’ouguiyas»
est accréditée par les relais que constituent les sites électroniques. On parle
même de membres retrouvés, de corps enterré… Si bien qu’on fait croire aux
parents du disparu qu’il s’agit «d’une défaillance de l’Etat qui ne veut pas
embêter un village de Peuhls et qui entend sacrifier leur fils pour empêcher
une telle éventualité». La tribu s’organise et entend même se faire justice
«si l’Etat ne peut pas nous protéger, nous allons nous armer et nous
protéger nous-mêmes». Une logique implacable de confrontation dans un
milieu qui porte encore les stigmates de 1989.
On découvrira le jeune à Nouakchott où il se fait soigner aux
urgences de l’hôpital national pour un choc traumatique dû à sa chute de sa
monture. C’est qu’il s’est présenté effectivement aux urgences pour demander à
être consulté. L’infirmier lui fit une radio après l’avoir entendu et l’amena
voir le médecin qui constata que bien que n’ayant aucune fracture fraiche, il
souffrait atrocement (visiblement du moins) des mouvements de son bras. Il
ordonna un plâtrage pour bloquer le bras, le temps de voir disparaitre l’origine
de la douleur qui semblait être une inflammation.
En faisant consciencieusement son travail, Dr Sid el Haj était loin
d’envisager ce qui allait suivre. Quelques jours après, il fut convoqué une
première fois par la police devant laquelle il expliqua ce qui était arrivé et
le pourquoi du plâtre. Avant de se voir mis en examen formellement par la
Justice. C’est la pression des amis et confrères de ce médecin très
responsable, qui obligera l’Appareil à reculer.
«Nous avons toujours attendu qu’un médecin de garde soit
poursuivi parce qu’il aura refusé de soigner, mais qu’il le soit parce qu’il a
fait son devoir…»
C’est justement l’essence de la deuxième histoire. Cette fois-ci,
cela s’est passé quelques jours avant, à l’Hôpital de l’Amitié de Arafat
(Nouakchott). Un officier de l’Armée, appartenant au quatrième GSI (unité
d’intervention anti-terroriste), est ramené par un collègue à lui aux urgences
de l’hôpital pour se faire soigner. Il souffrait d’une forte fièvre depuis 24
heures. Après plusieurs heures passées devant le bureau du médecin de garde,
l’accompagnant intercepta le médecin au milieu de ses nombreuses allées et
venues, pour lui dire : «C’est un officier de l’Armée qui a une forte
fièvre depuis quelques temps, nous sommes là depuis trois heures et nous
voulons bien nous faire consulter». La réponse est immédiate et
cinglante : pas encore le temps pour vous… échanges vifs de grossièretés,
avant de passer à l’acte : l’officier gifle le médecin, la gendarmerie
arrive, entend les deux parties. Les deux versions sont concordantes et posent
toutes les deux le problème : d’une part un médecin urgentiste qui refuse
assistance à un malade, d’autre pas un médecin agressé en plein exercice. La
Justice s’en mêle. Le Parquet ordonne l’arrestation de l’officier malade avant
de le déposer dans la prison civile où il passe la nuit séparé des prisonniers
salafistes par une cloison fragile, lui qui appartient aux unités qui ont
permis la neutralisation de la plupart de ces groupes jihadistes. Première
anomalie.
La deuxième anomalie est liée à l’excès de zèle qui a amené le
Parquet à passer outre les procédures légales quand il s’agit d’éléments des
forces armées : les hommes relevant de l’Etat Major des Armées ou du Corps
de la Gendarmerie sont poursuivis suivant une procédure clairement définie par
la loi et qui nécessite l’autorisation du ministre de la défense sinon de la
hiérarchie militaire à qui revient la mission de mener enquête.
La troisième anomalie, c’est qu’une seule des parties s’est
retrouvée en prison. Même en cas d’agression de fonctionnaire en exercice, il
fallait entamer une quelconque poursuite contre le médecin de garde qui a
refusé de soigner un malade. Il s’agit là d’un officier qui a fini par réagir
de la mauvaise façon, mais combien de simples citoyens mauritaniens sont
éconduits ou traités sans sérieux par des urgences d’un hôpital ? sans
suite pour eux…
Entre ces deux histoires, il y a un juste milieu à adopter. On ne
peut pas d’une part arrêter un médecin en plein exercice (le médecin de
l’hôpital national était en train d’opérer un malade quand il a été arrêté)
pour un vague soupçon, et d’autre part venger un médecin qui a fauté au départ
et pour lequel on enfreint les lois et règlements. Dans l’un et l’autre des
cas, il y a un dysfonctionnement à réparer au plus vite, une faute à
sanctionner, un zèle à contenir.
P.S :
Pour la petite histoire, sachez que l’affaire Ould Nezilou – du nom de ce jeune
disparu – n’a pas livré tous ses secrets. Le «disparu» a reconnu avoir
quitté chez lui pour faire une grande équipée qui l’a finalement mené dans les
camps de réfugiés sahraouis. Où exactement et pourquoi ? Pourquoi surtout
aucune poursuite n’a été engagée contre l’élu qui a vigoureusement participé à
l’excitation des sentiments des populations et à la manipulation des
médias ? Une chose est sûre : cette histoire avait toutes les chances
de tourner en drame social, alors elle doit être élucidée au plus vite pour
avoir une suite.
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