Si la réponse est non, allez tout de suite chercher en CD
ou en cassette, l’un de ses enregistrements avec (ou sans) feu Mohameden Ould
Sidi Brahim, cet homme qui a été à la base du sauvetage d’un patrimoine
immense, délaissé depuis.
J’écoute souvent ses «dourous»
se la «jamba el bedha», non seulement
pour savourer le jeu unique dont il est capable avec sa «tidinit», mais aussi pour écouter les quelques interventions de
trois grandes griottes qui l’accompagnent de temps en temps : Lalla Mint
Eli Khadja, sa fille Amash Amar Tichit, et El Ghadhva Mint Bowba Jidou, sa fille
à lui mère de la grande chanteuse d’aujourd’hui Ouleya Mint Amar Tichit. Des
voix pures, qui transpercent tous les sens pour transporter l’auditeur à la
limite des temps immémoriaux, pour le plonger dans une mélancolie heureuse pour
sa douceur…
«t’ayebni hawn il
bidhâne/binni maa waqart eshshayba
U binni nibghi
hawl azawâne/maghlaak ‘liya ya ‘ayba»
Entendre les griottes s’arracher les vers, puis les mots
pour les chanter selon le mode consacré, tout en apportant le maximum de touche
personnelle en termes de variations dans l’intonation et la déclamation, c’est
découvrir tout le sens de «tshaw’ir»,
cette capacité à garder le chant juste tout en tournant (et en retournant) le
rythme, la saccade et la pureté de la voix. Rien ne sonne faux. Rien ne dérange
l’harmonie du jeu des corde du luth de ce virtuose de la tidinit qu’est Ahmed
Ould Bowaba Jidou.
Pour Ould Bowba Jidou, ce qu’il joue raconte une épopée,
celle des Awlad M’Barek, cette tribu Maghafra (Bani Hassane) qui a fini par se
confondre avec le mythe fondateur de la Geste Hassane. Il ne se pose pas de
question sur la véracité historique des évènements qu’il raconte à chaque note
qu’il produit, ne remet rien en cause de l’art qu’il a hérité et entretenu si
longtemps. C’est juste si sa volonté de précision ne s’exprime que quand il
veut être honnête dans ses références. Quand par exemple il se trompe d’auteur
(Shweiba au lieu de Lgheyta Mint Ngdhey pour «bleyt aghwaaniit») ou de «récipiendaire»
de tel ou tel distinction…
L’un des plus beaux sous-modes de la musique bidhâne serait
né par hasard : «Tehzaam». Deux
jeunes cousins Awlad M’Barek, Ethmane Edariiv et Elqaçaaç aurait été face à
l’ennemi en même temps. Le second dit : «Il ne serait pas juste (vis-à-vis de l’ennemi, ndlr) d’aller tous les deux en même temps devant
l’ennemi, je propose que chacun de nous attaque seul…» Ce que son cousin
accepta en lui proposant d’aller le premier, lui qui a fait la proposition.
Au moment où il enfourchait le cheval pour donner le départ
de l’attaque, son griot qui l’accompagnait en toute circonstance perdit le
rythme de «Srouzi» mode guerrier et
d’excitation par excellence, pour jouer quelque chose qui n’avait jamais été
joué avant. «Galbak lak, nte
shkhal’ak ? eydiik hereblou emmelhoum ?» (garde ton calme,
pourquoi tes mains ont tremblé, pourquoi avoir peur ?) Et le griot,
nullement décontenancé, de répondre à son guerrier : «Maani menkhla’, laahi enhazam lak» (ce n’est pas la peur, c’est
pour te ceinturer dans le sens de te t’accompagner pour te concentrer). C’est
ainsi que le Tehzaam est né, de la détérioration du grand mode de Srouzi…
C’est ici, quand l’artiste joue «terika» que les trois donnent à nouveau de la voix. Et quelle
prestation ! avec une Lalla qui impose son ton grave et rythmé aux voix
aigues des deux autres.
«zawiya gaalit
maatibghik/’arbiya walla min hassane
Dhaak ella
maashavit ‘aynik/gawtartak min tahta içigâne»
Le morceau est dédié à Ethmane Wul Hennoun, l’un des héros de cette
épopée jamais visitée par nos écrivains. Et à laquelle se limite le monde de
Ahmed Ould Bowba Jidou.
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